Sélection de juillet-août

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Sélection des livres de juillet-août 2020

Comme un avant-goût des rendez-vous de l’été, réflexions sur les civilisations, sur le temps s’entrelacent en méandres littéraires et historiques… Laissez-vous bercer…

LITTÉRATURE FRANÇAISE

Nastassja Martin, Croire aux fauves, Verticales, octobre 2019, 152 p., 12.50 €

« Ce jour-là, le 25 août 2015, l’événement n’est pas : un ours attaque une anthropologue française quelque part dans les montagnes du Kamtchatka. L’événement est : un ours et une femme se rencontrent et les frontières entre les mondes implosent. Non seulement les limites physiques entre un humain et une bête qui, en se confrontant, ouvrent des failles sur leurs corps et dans leurs têtes. C’est aussi le temps du mythe qui rejoint la réalité ; le jadis qui rejoint l’actuel ; le rêve qui rejoint l’incarné. » Nastassja Martin

https://next.liberation.fr/livres/2019/12/04/croire-aux-fauves-la-lecon-d-un-instant-de-survie_1767332

 

Michel Jullien, Intervalles de Loire, Verdier, février 2020, 14 €

Sur le pont de Nevers, trois bons amis regardent couler la Loire. Ils vont avoir cinquante ans. Ce qu’ils voient depuis le tablier : les grandes veines de courant, l’eau fendue par l’étrave des piles, les marmites tournant sur elles-mêmes sans jamais vouloir se rendre au lit, les bancs de sable, les îlots et les troncs flottés. Les fleuves et les rivières font appel à l’enfance et, avant le soir, la songerie des trois camarades prend la forme d’une boutade, c’est-à-dire d’un serment : descendre la Loire à la rame, sur une barque plate, idée potache qui les conduira à l’océan. (…)

Cette échappée fourmillante d’images s’attache à restituer ce qu’est la perception d’un fleuve parcouru du dedans, à hauteur de paupières. Michel Jullien s’approche au plus près d’une acuité sensuelle et traduit chaque impression physique, auditive et visuelle d’une morne récréation fluviale. (…)

Comme souvent dans les textes de Michel Jullien, l’humour en est, qui lui permet de toucher au plus juste les perceptions sensorielles. Très vite, à chaque page, à notre tour, nous voici au bastingage, au cœur de la Loire, dans la barque même, maniant les rames, indiquant le chemin à la proue, corrigeant l’avancée depuis le gouvernail, passant des ponts, croisant des hameaux, éprouvant le temps, bâillant aux paysages, tout un projet de l’enfance tenu jusqu’à la mer.

https://www.en-attendant-nadeau.fr/2020/04/15/ramer-fil-eau-jullien/

 

Christophe Pradeau, Les Vingt-quatre Portes du jour et de la nuit, Verdier, août 2017, 192 p., 14.50 €

Les habitants de Constantinople l’appelaient les Vingt-quatre Portes du jour et de la nuit. Ils aimaient le spectacle des automates qui franchissaient là-haut, à l’heure dite, le seuil des niches ouvertes dans le clocher des Saints-Apôtres.

L’homme qui lutte contre le sommeil, en ce lundi 18 juillet 2016, sur un banc du square Le Gall, dans le quartier des Gobelins, à Paris, est l’une des très rares personnes qui conservent encore aujourd’hui le souvenir de cette horloge, qui fut l’une des merveilles du monde. Elle est mêlée à son existence plus encore qu’il ne le pense. Il nous invite ici à partager l’aventure de cette journée qui changea le cours de sa vie.

Le roman évoque le temps qui nous traverse et sur les ruses que l’on invente pour domestiquer cette morsure intime, c’est aussi une histoire d’amour, la plus naïve et la plus subtile des ruses que l’homme a inventé d’opposer au temps qui passe.

https://editions-verdier.fr/2019/02/28/la-revue-de-belles-lettres-2018-par-christine-lemaire/

 

POCHES

Voltaire, Candide, Pocket, avril 2019, 160 p., 1.90 €

Comme disait parfois son précepteur Pangloss, si Candide n’avait pas été chassé d’un beau château à grands coups de pied au derrière pour l’amour de mademoiselle Cunégonde, il ne serait pas là, dans sa petite métairie pleine d’orangers, à manger des pistaches et à cultiver son jardin.
Les voyages et les aventures de Candide à la poursuite de la sagesse et du bonheur donnent le vertige. Comment garder son optimisme quand on va d’horreurs en catastrophes ? Partout dans le monde, les hommes sont fanatiques, méchants, belliqueux. Candide doit apprendre la tolérance, l’art de vivre en paix avec soi et avec les autres. Et l’amour de la liberté.

https://interlettre.com/bac/572-candide-de-voltaire-resume-et-analyse-du-conte-philosophique

Gustave Flaubert, Madame Bovary, Mœurs de province, Flammarion, mars 2018, 640 p., 3.80 €

En 1857, Madame Bovary fait scandale. Poursuivi pour « outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs », Flaubert est acquitté, mais la réputation sulfureuse de l’œuvre forge la célébrité de son auteur. Les critiques s’emparent du roman pour en faire le champion du réalisme, qui s’impose sur les cendres du romantisme. L’auteur se défend contre cette assimilation à la nouvelle école en faisant prévaloir encore et toujours son amour de l’art pour l’art, son souci obsessionnel du style et sa quête d’une poétique impersonnelle qui fait entrer le roman dans la modernité.
Ce récit corrosif de la vie de province marque l’invention d’une nouvelle façon d’écrire et de représenter le monde, subversive sans en avoir l’air, qui fait d’Emma Bovary l’incarnation d’une protestation contre la banalité du réel.

https://flaubert.univ-rouen.fr/derives/mb_cinema.php

 

Mathieu Riboulet, Nous campons sur les rives, Lagrasse 7-11 août 2017, Verdier, mai 2018, 48 p., 3 €

C’était à Lagrasse, du 7 au 11 août 2017, pendant le Banquet du livre. Mais de l’autre côté du pont : sous la halle, au cœur du village. Mathieu Riboulet s’y est placé « dans la lumière, le vent, les pierres, le sable et les odeurs d’ici ». Il a dit ces textes, pour entamer des conversations sur l’histoire, soit l’art de nouer l’émotion de l’appartenance à la conscience du monde. Il a dit ces textes, afin que nous n’ayons plus à choisir entre rester ici et rêver d’ailleurs.

https://youtu.be/gFwMnDf-AjY

Ta-Nehisi Coates, Le grand combat, traduit de l’anglais (États-Unis) de Karine Laléchère, J’ai Lu, mai 2018, 252 p., 7.20 €

À West Baltimore, dans les années 1980, les gangs et le crack sont le seul horizon des jeunes du quartier. Ta-Nehisi Coates est voué lui aussi à suivre ce chemin dévastateur, mais son père, Paul, ancien Black Panther passionné de littérature, lui fait découvrir Malcolm X et James Baldwin. C’est une révélation. L’adolescent rêveur, égaré dans les frasques d’une famille hors norme, se jure d’échapper à son destin.

Épopée lyrique aux accents hip-hop portée par l’amour et l’ambition, Le grand combat est l’histoire magnifique d’un éveil au monde, un formidable message d’espoir.

https://www.actualitte.com/article/livres/le-grand-combat-s-eveiller-au-monde-et-sortir-des-ghettos/91527

Stéphane Habib, Faire avec l’impossible : pour une relance politique, Pocket, février 2020, 224 p., 7.60 €

« Tous les totalitarismes, à réduire l’impossible au possible, l’inconnu au connu, s’installent ainsi et toujours au nom de mots bouchons, de signifiants maîtres si l’on veut, de tension vers l’Un, l’Un de l’unien, l’un de l’ennui dirait Lacan, l’Un du tout est possible. Nous reprendrons cette formule en ce sens qu’elle est lourde d’implications politiques, mais comment ne pas y entendre déjà que c’est justement le Tout qui s’y présente comme possible et donc qui s’y promet. Les totalitarismes n’avancent presque jamais masqués. » Stéphane Habib

https://next.liberation.fr/livres/2018/02/02/impossible-n-est-pas-politique_1627050

 

POÉSIE

Jacques Bonnaffé, La Poésie, c’est autre chose, Bayard culture, novembre 2017, 60 p., 12.90 €

À partir de son expérience de comédien et de lecteur de poésie, Jacques Bonnaffé s’interroge : Qu’est-ce que la poésie ? C’est bien sûr autre chose que la récitation, autre chose que ce qui est « poétique ». C’est quelque chose qu’on ne peut définir d’un seul coup. C’est peut-être ce qui résiste à un monde où tout doit être fiché, casé, transmis immédiatement.

C’est un secret du langage qui traverse toutes les époques et toutes les langues, c’est le plaisir d’une entrée dans la forêt des mots, plus libre et plus aventureuse que toutes les autres et qui, par sa précision et son sens du rythme, fait vibrer la matière même du monde, cœur de nos émotions.
Un beau texte très agréable à lire, plein de citations drôles et étonnantes.

 

REVUE

Collectif, « Par ici la sortie », Cahiers éphémères et irréguliers pour saisir ce qui nous arrive et imaginer les mondes de demain, n°1, Seuil, juin 2020, 192 p., 14.90 €

À l’heure où paraissent ces « cahiers », trois mois sont passés depuis que la pandémie mondiale du Covid-19 s’est imposée à nous, trois mois que le monde entier a basculé dans un état de crise dont on ne voit pas l’issue et dont on ne mesure pas les effets sur les sociétés qu’il a frappées.

Aux premières heures du confinement, des sentiments nombreux et contradictoires nous ont toutes et tous traversés : de la sidération à l’angoisse, de la tristesse à la colère… Et puis, très vite, les questions se sont bousculées dans nos têtes : que s’est-il donc passé ? Mais que nous arrive-t-il ? Quelles conséquences cet événement aura-t-il sur le monde et sur nos existences ? Et quelles leçons en tirer ? Il faut dire que, pour beaucoup d’entre nous, la vision d’un monde littéralement arrêté a soudain rendu évidentes, presque sensibles, les contradictions insoutenables dans lesquelles ce monde se trouvait pris depuis trop longtemps. Et si cette catastrophe était l’occasion d’empêcher qu’il retrouve sa trajectoire catastrophique antérieure ?

Comme le disait magnifiquement un graffiti repéré sur un mur de Hong Kong, « we can’t return to normal, because the normal that we had was precisely the problem». Autrement dit, serons-nous capables de saisir cet événement, à la fois le comprendre et nous en emparer, afin d’imaginer et construire le monde que nous voulons, le monde dont nous rêvons ?

Ces « cahiers » ne pouvaient être que collectifs, au sens fort, parce que issus d’une volonté partagée par les éditeurs et auteurs de la maison de faire sens face à l’événement. S’y engage une conception du travail intellectuel et du débat public comme espace de confrontation argumentée.

https://www.lemonde.fr/livres/article/2020/07/01/ecrire-et-penser-par-dela-le-covid-19_6044840_3260.html

ESSAIS

Barbara Stiegler, Du cap aux grèves, récit d’une mobilisation. 17 novembre 2018-17 mars 2020, Verdier, août 2020, 144 p., 7 €

Malgré le naufrage et la multiplication des alertes, le cap est à ce jour inchangé : c’est l’adaptation de toutes les sociétés au grand jeu de la compétition mondiale. Une marée de gilets jaunes a pourtant surgi sur le pont, bientôt rejointe par d’innombrables mutineries pour défendre les retraites, l’éducation et la santé. Reste, pour aller du cap aux grèves, à conjurer l’obsession du programme et du grand plan, qui paralyse l’action. Et à passer de la mobilisation virtuelle des écrans à la réalité physique des luttes et des lieux.

À travers le récit de son propre engagement, Barbara Stiegler dit la nécessité de réinventer notre mobilisation là où nous sommes, en commençant par transformer les endroits précis et concrets de nos vies.

https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/gironde/bordeaux/barbara-stiegler-crise-sanitaire-actuelle-est-pur-produit-du-neoliberalisme-1818004.html

 

Patrick Boucheron, Romain Bertrand (dir.), Collectif, Faire musée d’une histoire commune, rapport de préfiguration de la nouvelle exposition permanente du Musée national de l’Histoire de l’Immigration,  Seuil, novembre 2019, 544 p., 20 €

« Pourquoi tant de spécialistes reconnus ont-ils décidé de nous suivre et de nous faire confiance dès la première réunion de notre comité ? Sans doute parce que chacun a senti que ce musée, qui ne saurait être le musée des autres, mais doit au contraire être le musée d’un “nous” moins étriqué et plus respirable, n’est pas non plus un musée comme les autres. Au moment où les débats politiques en France et en Europe sont faussés par des crispations idéologiques qui éloignent sans cesse les discours publics d’une mesure seine et juste de la réalité, c’est sans conteste le musée d’histoire dont nous avons besoin. Et puisqu’on en a besoin, d’influentes forces politiques tenteront encore de faire en sorte qu’il soit bridé dans ses ambitions.
Nous avons choisi de disposer dans l’espace des récits, pour dire ici, maintenant, depuis longtemps, “ça a eu lieu”, “ça a lieu là” – il y a lieu de considérer cette histoire. Nous proposons donc ici quelque chose comme une volte-face : par une ruse de l’histoire récente, le Musée national de l’histoire de l’immigration est installé dans le pavillon amiral de l’Exposition coloniale de 1931. Ce piège à regards, chambre noire de l’histoire coloniale, doit désormais se transformer en machine à ouvrir les yeux. Le musée doit investir son lieu car il lui faut affronter son histoire. Il ne s’agit pas, bien entendu, d’imposer à l’histoire des immigrations une surdétermination coloniale : cette histoire ne peut être que mondiale par vocation et comparatiste par méthode. Il s’agit de prendre la mesure du buissonnement, de la bigarrure dont nous sommes issus. On doit pouvoir s’y retrouver mais pas pour cultiver le petit lopin tranquille des identités. » Patrick Boucheron

https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/actualites-faire-musee-dune-histoire-commune-et-il-etait-une-fois-les-revolutions

Marie Cosnay, Mathieu Potte-Bonneville, Voir venir. Écrire l’hospitalité, Stock, octobre 2019, 280 p., 19 €

« La question des frontières et de l’exil est la question cardinale de notre temps. » Mathieu Potte-Bonneville
« Il y a comme une addiction de l’accueil. Tu commences, tu ne peux plus arrêter. Parce que c’est immense, ce qu’il y a à faire. Parce que c’est une des conditions de l’hospitalité, l’inconditionnalité, l’immensité, l’illimité. » Marie Cosnay

Cette correspondance entre deux auteurs impliqués à titre personnel depuis plusieurs années dans l’accueil de migrants chez eux (à Paris et à Bayonne) est habitée par le pressentiment que nous sommes en train de vivre une catastrophe : celle d’une Europe « devenue criminelle », déployant une politique aussi absurde que cruelle en matière d’immigration, et laissant mourir des milliers de personnes dans l’indifférence quotidienne.

Une politique hostile qui semble en contradiction avec les élans de celles et ceux qui, un peu partout, accueillent les personnes exilées sans conditionner leur hospitalité, et finissent par former des réseaux de liens et d’entraide. Une résistance dont il s’agirait aujourd’hui de faire entendre la voix.

S’il alterne développements philosophiques et discussions politiques avec des passages poétiques et lyriques, ce texte est profondément ancré dans le réel. Les auteurs évoquent le parcours du combattant et les situations administratives kafkaïennes des nouveaux arrivants, mais également les aspects très concrets et pratiques de l’accueil de tous les jours. Y abondent récits, épisodes et anecdotes permettant d’entrevoir le quotidien (les difficultés, les découragements, mais aussi les joies) des accueillants et des accueillis.

https://diacritik.com/2019/11/13/marie-cosnay-et-mathieu-potte-bonneville-les-sens-du-langage-voir-venir-ecrire-lhospitalite/

Marielle Macé, Façons de lire, manières d’être, Gallimard, mars 2011, 304 p., 21 €

La lecture est l’une de ces conduites par lesquelles, quotidiennement, nous donnons un aspect, une saveur et même un style à notre existence.
« J’allais rejoindre la vie, la folie dans les livres. […] La jeune fille s’éprenait de l’explorateur qui lui avait sauvé la vie, tout finissait par un mariage. De ces magazines et de ces livres j’ai tiré ma fantasmagorie la plus intime… » Lorsque le jeune Sartre se rêve en héros après avoir lu les aventures de Pardaillan, il ne fait rien d’exceptionnel, sinon répéter ce que nous faisons tous quand nous lisons, puissamment attirés vers des possibilités d’être et des promesses d’existence que donne la littérature.
C’est dans la vie ordinaire que les œuvres se tiennent, qu’elles déposent leurs traces et exercent leur force. Il n’y a pas d’un côté la littérature, et de l’autre la vie ; il y a au contraire, dans la vie elle-même, des formes, des élans, des images et des styles qui circulent entre les sujets et les œuvres, qui les exposent, les animent, les affectent. Car les formes littéraires se proposent dans la lecture comme de véritables formes de vie, engageant des conduites, des démarches, des puissances de façonnement et des valeurs existentielles.
Dans l’expérience ordinaire de la littérature, chacun se réapproprie son rapport à soi-même, à son langage, à ses possibles et puise dans la force du style une esthétique.

https://grozeille.co/la-litterature-ou-la-vie-marielle-mace/

 

Frédérique Aït-Touati, Alexandra Arènes, Axelle Grégoire, Terra forma, Manuel de cartographies potentielles, éditions B42, avril 2019, 192 p., 25 €

Terra Forma raconte l’exploration d’une terre inconnue : la nôtre. Cinq siècles après les voyageurs de la Renaissance partis cartographier les terra incognita du Nouveau Monde, cet ouvrage propose de redécouvrir autrement cette Terre que nous croyons si bien connaître. En redéfinissant, ou plutôt en étendant le vocabulaire cartographique traditionnel, il offre un manifeste pour la fondation d’un nouvel imaginaire géographique et, ce faisant, politique.

Les sept chapitres de ce livre sont des points de vue sur la réalité, de possibles visions du monde esquissées par différents prismes, comme autant d’instruments optiques : par les profondeurs, par les mouvements, par le point de vie, par les périphéries, par le pouls, par les creux, par les disparitions et les ruines, ils produisent des savoirs situés, incarnés. Écrit sur le mode du récit d’exploration, cet ouvrage se veut aussi un manuel de dessin, qui invite le lecteur à explorer les techniques de représentation sur divers terrains, dans le but de constituer progressivement et collectivement un atlas d’un nouveau genre.

Travail expérimental à six mains, Terra Forma est le résultat d’une collaboration entre deux architectes dont la pratique se trouve à la croisée des questions de paysage et de stratégie territoriale, Alexandra Arènes et Axelle Grégoire, et une historienne des sciences, Frédérique Aït-Touati.

https://www.franceculture.fr/emissions/la-suite-dans-les-idees/explorer-la-terre-pour-ne-pas-la-perdre-0

HISTOIRE

Romain Bertrand (dir.), Collectif, L’Exploration du monde, Une autre histoire des Grandes Découvertes, Seuil, octobre 2019, 528 p., 27 €

Voici une histoire par dates du VIIe au XXe siècle, riche en surprises, qui rend compte des profonds renouvellements qui ont transformé notre vision de ce qu’on appelait autrefois les « Grandes Découvertes ». Les dates « canoniques », revisitées à l’aune d’une réflexion critique sur les raisons de leur élection par les chronologies officielles, alternent avec les dates « décalées » qui font surgir des paysages et des personnages méconnus. Il est ici question de détricoter le discours qui, associant exploration du monde et « entrée dans la modernité », en réserve le privilège et le bénéfice à l’Europe, et, pour ce faire, de documenter d’autres voyages au long cours – extra-européens. Il est également question, prenant le contre-pied d’une histoire héroïque des expéditions lointaines qui en attribue le mérite à quelques singularités, de rappeler qu’il faut beaucoup d’illusions, et plus encore d’intérêts, pour faire un « rêve », et que Christophe Colomb n’aurait jamais appareillé sans les vaisseaux des frères Pinzón.
Il s’agit ainsi de substituer des lieux, des instants et des visages aux cultures en carton-pâte et aux croyances en papier mâché ; de donner à voir les échecs autant que les réussites, les naufrages dans les estuaires de la même façon que les entrées triomphales dans les cités soumises ; d’inclure amiraux ottomans, navigateurs chinois, interprètes nahuatls et pilotes arabes dans le musée imaginaire de l’histoire globale ; de mettre en lumière tout un petit peuple d’assistants et d’auxiliaires, de sherpas et de supplétifs (que serait Magellan sans le Malais Enrique ? ou Cortés sans la Malinche ?) ; de passer outre une histoire au masculin en rendant droit de cité aux voyageuses et aux exploratrices ; et enfin de prêter une égale attention aux êtres et aux choses, sachant que, s’il faut une nef pour traverser un océan, une vague ou un bacille suffisent à la vider de ses occupants.
Ce sont donc à la fois une autre histoire du monde et une autre histoire de l’Europe qui se dévoilent au fil des 90 récits d’aventures proposés par 80 des meilleurs historiennes et historiens de ces questions.

Romain Bertrand au Banquet du Livre à Lagrasse, août 2019

 

Romain Bertrand, Le Long remord de la conquête. Manille-Mexico-Madrid : l’affaire Diego de Avila (1577-1580), Seuil, octobre 2015, 576 p., 25 €

Manille, 1577, un enfant comparaît devant le gouverneur Francisco de Sande dans le cadre d’un procès d’Inquisition. De quoi le jeune Diego de Avila s’est-il rendu coupable pour inquiéter à ce point le représentant du roi d’Espagne? Ensorcelé peut-être par des servantes indigènes, l’enfant qui vit avec son oncle dans le couvent des Augustins a rêvé qu’aux Enfers un siège était réservé pour le gouverneur… Colportée par les soldats et les colons, la rumeur circule à Manille dans les arrière-cours et les cuisines et jusqu’au cœur du gouvernement municipal. Francisco de Sande ne peut le supporter.

À travers cette histoire extraordinaire, dont tous les détails sont romanesques et qui agit à la façon de ces traceurs chimiques qui défient l’opacité des chairs, Romain Bertrand dévoile le paysage dérobé de la Conquête et défait, chemin faisant, la fiction de l’irrésistible expansion occidentale.

Car qu’est-ce que la Conquête, sinon des commencements incertains qui voient les Espagnols, en lutte les uns contre les autres et taraudés déjà par le remords, ignorant tout d’un univers cosmopolite dont le cœur bat plus loin, être conquis plus qu’ils ne le conquièrent par le monde philippin et ses magies ?

https://www.franceculture.fr/emissions/concordance-des-temps/les-philippines-dou-vient-cette-violence

 

Yann Potin, Jean-François Sirinelli (dir.), Générations historiennes, CNRS éditions, octobre 2019, 600 p., 29 €

C’est à une nouvelle histoire des historiens que nous convie cet ouvrage, à la lumière d’une notion dynamique et féconde, celle de génération. Les 58 auteurs réunis dans ce volume explorent pour la première fois l’évolution de leur discipline à l’aune des « générations historiennes » qui l’ont façonnée. De Jules Michelet à nos jours…
Trois grandes parties forment la trame de cet ouvrage choral. La première fait revivre deux siècles d’historiographie française en dressant le portrait de 14 générations qui se sont succédé depuis le début du XIXe siècle.
La deuxième partie donne la parole à une trentaine d’historiennes et historiens nés entre 1942 et 1983, invités à retracer leur propre itinéraire. Ont-ils eu le sentiment d’appartenir ou non à une génération et de s’inscrire en rupture par rapport aux précédentes ?
Enfin, à partir d’une quinzaine d’études de cas (la Révolution française, l’histoire coloniale, l’histoire des femmes…), la troisième partie revisite, sous l’angle générationnel, les grands débats qui agitent le champ foisonnant du travail historique.

« À partir de cet outil à la fois objectif (démographique) et subjectif (ressenti), en apparence évident (patente communauté d’âge, d’expérience, de lectures) mais en réalité mouvant, voire artificiel (comment construire avec rigueur ces cohortes temporelles ?), Générations historiennes cherche à bousculer la profession. » Télérama, décembre 2019.

                 

François Bon, Préhistoire, La fabrique de l’homme, CNRS éditions, octobre 2009, 352 p., 22.30 €

Il y a longtemps que la Préhistoire est entrée dans notre imaginaire collectif. Entre mythe et réalité, elle incarne un passé lointain, plus ou moins sauvage, parfois émouvant ou cruel, où l’homme est libre ou, au contraire, selon les récits, subit une nature à laquelle il appartient.

Que savons-nous de ce temps, où des peuples de chasseurs nomades occupaient le monde sans partage ? Souvent, son évocation cède à la caricature : on rassemble plusieurs centaines de milliers d’années, unifiant en un seul portrait des milliers d’hommes. Et l’on décrit ces premiers âges comme la lente gestation d’un monde devant, inéluctablement, parvenir au nôtre. Rarement, la Préhistoire est abordée comme une période à part entière, mettant en scène des hommes et des sociétés complexes et largement différenciés. C’est cette voie qui est ici privilégiée, au travers d’une interrogation centrée sur les sociétés d’Homo sapiens.

En analysant l’avènement de l’art, la construction sociale de ces peuples ou encore leur relation à la nature qui les entoure, à la mort aussi, cet ouvrage tente de montrer que ce monde préhistorique, à la fois proche et lointain, participe pleinement aux réflexions que l’on peut mener sur la définition d’une société humaine.

https://www.youtube.com/watch?v=OvEVrzKZHCg

 

Antoine Lilti, L’Héritage des Lumières, Ambivalences de la modernité, Seuil, septembre 2019, 416 p., 25 €

Les Lumières sont souvent invoquées dans l’espace public comme un combat contre l’obscurantisme, combat qu’il s’agirait seulement de réactualiser. Des lectures, totalisantes et souvent caricaturales, les associent au culte du Progrès, au libéralisme politique et à un universalisme désincarné.
Or, comme le montre ici Antoine Lilti, les Lumières n’ont pas proposé une doctrine philosophique cohérente ou un projet politique commun. En confrontant des auteurs emblématiques et d’autres moins connus, il propose de rendre aux Lumières leur complexité historique et de repenser ce que nous leur devons : un ensemble de questions et de problèmes, bien plus qu’un prêt-à-penser rassurant.
Les Lumières apparaissent dès lors comme une réponse collective au surgissement de la modernité, dont les ambivalences forment aujourd’hui encore notre horizon. Partant des interrogations de Voltaire sur le commerce colonial et l’esclavage pour arriver aux dernières réflexions de Michel Foucault, en passant par la critique postcoloniale et les dilemmes du philosophe face au public, L’Héritage des Lumières propose ainsi le tableau profondément renouvelé d’un mouvement qu’il nous faut redécouvrir car il ne cesse de nous parler.

https://www.en-attendant-nadeau.fr/2019/11/05/lumieres-aujourdhui-lilti/

 

Patrick Boucheron, Conjurer la peur, Essai sur la force politique des images. Sienne, 1338., Points, mai 2015, 288 p., 9.50 €

« D’où viendra le danger ? L’un lève les yeux au ciel, l’autre jette un regard de côté. Deux soldats, pressés l’un contre l’autre, confrontent leurs solitudes apeurées. Ils furent peints par Ambrogio Lorenzetti, comme en état d’urgence sur cette fresque que l’on dit du « Bon Gouvernement ». C’était en 1338, dans le palais public de la république de Sienne, tandis que rôdait le spectre de la tyrannie.

Il est une actualité de cette peur ancienne qui hante toujours notre modernité. Elle saisit à nouveau dès lors qu’on laisse venir la force politique des images. Car ce qui fait le « bon gouvernement » n’est rien d’autre que ses effets concrets, visibles et tangibles sur la vie de chacun. En les regardant en face, sans doute a-t-on quelque chance de repousser, pour un temps, la trouble séduction de la seigneurie. La peinture de Lorenzetti est le récit fiévreux de ce combat politique toujours à recommencer. » Patrick Boucheron

https://www.en-attendant-nadeau.fr/2020/03/25/peindre-peur-italie-boucheron/

 

PHILOSOPHIE

Jean-Claude Milner, Considérations sur l’Europe, Conversation avec Philippe Petit, Cerf, février 2019, 180 p., 19 €

Attaquée par les populismes, critiquée par ses membres, décrédibilisée aux yeux des citoyens, l’Europe, à la veille d’élections cruciales, traverse une crise grave. Dans un entretien passionnant, Jean-Claude Milner interroge les conditions de la survie de l’Union.

Mythe de la fin de l’histoire, ennui de la paix, critique du néolibéralisme, le philosophe aborde aussi la justice sociale, dont il dénonce l’abandon au profit de l’enrichissement. La culture européenne, puisqu’elle existe, n’est pas à créer mais à retrouver.

Dans ces entretiens éblouissants d’intelligence, de vivacité et de vérité, Jean-Claude Milner ne cède à aucun dogmatisme, pense le présent en mettant en perspective le passé et fait montre d’une pondération critique rare.

De la vertu des Pères fondateurs à l’incurie de Bruxelles, c’est l’idéal européen qu’il s’agit de sauver.

https://www.lefigaro.fr/vox/culture/2019/03/05/31006-20190305ARTFIG00196–considerations-sur-l-europe-avant-d-etre-l-avenir-l-europe-a-vocation-d-etre-le-present.php

Mathieu Potte-Bonneville, Recommencer, Verdier, mars 2018, 13 €

Économiquement, l’heure est dit-on à la reprise, gouverner consisterait à remettre le pays sur ses rails – et s’opposer à ce que l’air du temps peut présenter d’intolérable exigerait dans l’instant de repartir au combat.

Mais que peuvent bien signifier ces verbes, reprendre, remettre, ou repartir ?

À quelles complications et à quelles hantises s’affrontent nos tentatives intimes ou politiques pour surmonter déceptions et défaites, doutes et empêchements, jusqu’à trouver la force d’agir à nouveau ?

Les philosophes se sont souvent penchés sur les premiers commencements de toutes choses ; on voudrait ici, en compagnie de penseurs et d’écrivains, interroger plutôt les deuxièmes coups, les nouvelles fois, sonder leurs pièges et leurs promesses, et explorer l’expérience individuelle ou collective du recommencement comme on se recoudrait une éthique en guettant le retour des beaux jours.

https://www.lesinrocks.com/2018/02/25/idees/idees/pourquoi-doit-toujours-tout-recommencer/

Jean-Claude Milner, Relire la Révolution, Verdier, octobre 2016, 288 p., 16 €

On recommence de s’interroger sur la révolution.
Le vocable vient du passé, mais il est temps de le ressaisir à la lumière du présent. Impossible de ne pas commencer par la Révolution française. Impossible de ne pas continuer par la révolution soviétique et la révolution chinoise.
Sauf qu’il faut bien réveiller les somnambules : si elles sont des révolutions, alors la Révolution française n’en est pas une. Si la Révolution française est une révolution, alors elles n’en sont pas.
Car les droits de l’homme existent ; ce sont les droits du corps parlant. La Terreur aussi a eu lieu. Pour opposées que soient ces deux mémoires, chacune permet d’interpréter l’autre.
La Révolution française se situe à leur intersection.
De ce fait, elle a approché le réel de la politique. À quoi les autres ont substitué la grise réalité de la prise de pouvoir. Ce que nous voyons du xxie siècle permet de redéfinir les droits du corps ; la révolution, relue, permet de comprendre ce qu’il nous est permis d’espérer.

https://www.youtube.com/watch?v=vdtTvWlA9Rk&feature=youtu.be

 

CINÉMA

Dima El-Horr, Mélancolie libanaise, Le cinéma après la guerre civile, L’Harmattan, avril 2016, 278 p., 29 €

Depuis la fin de la guerre civile libanaise en 1991, le cinéma libanais décline le mal existentiel et le sentiment de mélancolie d’une génération dont les personnages étrangers au monde comme à eux mêmes, sans repères, font face à la répétition des violences, la séparation, le deuil, ou l’exil, trainent leur mal-être dans une ville en éternel chantier et où les morts tels des fantômes réapparaissent d’entre les ruines. Entre un monde qui s’effondre et un passé qui s’efface, la mélancolie habite ces films dont les récits fragmentés et éclatés ne s’achèvent jamais. Avec Ghassan Salhab, Michel Kammoun, Joanna Hadjithomas, Khalil Joreige, Mohammad Soueid, Danielle Arbid, Christophe Karabache, Waël Noureddine, Nigol Bezgian, Borhane Alaouié, Jocelyne Saab… un nouveau cinéma s’invente.

https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/08/05/la-fille-au-scooter-signe-que-la-roue-tourne-pour-les-libanaises_5496777_3246.html

 

JEUNESSE

Ce document a été créé et certifié chez IGS-CP, Charente (16)

Pef, Terra Migra, Gallimard jeunesse, mars 2020, 36 p., 20 €

« Je suis Terra Migra, mes sourires sont faits de fleurs, de chants d’oiseaux. Mes larmes sont de sel dans des rives lointaines. »

Ainsi s’adresse notre planète à deux personnages que le hasard a fait se rencontrer. L’un est fataliste, l’autre ouvert au monde. Ce monde-là est celui des migrants vivants ou en grand danger d’oubli. De quelle Histoire présente ou disparue viennent-ils ?  

Superbement mis en musique par Marc-Olivier Dupin, le texte et les illustrations de Pef évoquent de manière extrêmement sensible et juste la peur de l’autre, le racisme, les guerres, les migrations, la Terre-Mère.

De 6 à 9 ans

https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/jeunesse/pef-le-pere-du-prince-de-motordu-aborde-les-themes-de-la-migration-et-des-guerres-dans-son-nouveau-livre-terra-migra_4019083.html

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