Sélection de juin 2020

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La sélection des livres de juin 2020

LITTÉRATURE FRANÇAISE

Catherine Blondeau, Débutants, Mémoires d’encrier, janvier 2020, 568 p., 25 €

Juillet 2004. L’inauguration du musée national de Préhistoire réunit en Dordogne Nelson Ndlovu, archéologue sud-africain invité aux cérémonies, Peter Lloyd, traducteur anglais installé là depuis quinze ans, et Magda Kowalska, jeune femme polonaise qui tient une maison d’hôtes dans le village. L’été voit naître entre eux un grand rêve d’amour et d’amitié. La gaité de Magda, les silences de Peter et la flamboyance de Nelson recèlent pourtant bien des secrets. Lutte anti-apartheid et migrations forcées, violence des héritages et désirs de liberté, peur de l’enfantement et poids des attachements. Les récits s’entrecroisent et les vies se répondent dans cette fresque haletante où l’Histoire n’épargne personne.

Catherine Blondeau vit à Nantes où elle dirige Le Grand T, théâtre de Loire-Atlantique, depuis 2011. Auparavant, elle a occupé diverses fonctions : maître de conférences en littérature et arts du spectacle à l’Université de Rouen, directrice de l’Institut Français d’Afrique du Sud à Johannesburg, attachée culturelle à Varsovie, et conseillère artistique du festival Automne en Normandie. Débutants est son premier roman.

https://www.en-attendant-nadeau.fr/2020/01/28/exiles-village-blondeau/

Juliette Mézenc, Des espèces de dissolution, suivi du Monologue de Bassoléa, Éditions de l’Attente, mars 2019, 168 p., 16 €

Ce texte en sept mouvements suit le périple d’un homme à travers des strates de réalités physiques et numériques. Le récit explore comment la rencontre d’un être et d’un territoire les métamorphose l’un comme l’autre, re-suscite des personnes disparues et des temps vécus, défait l’identité du lieu comme du personnage avant de la refaire pour la porter à une puissance nouvelle. S’ensuit le frénétique Monologue de Bassoléa, qui creuse la question de l’existence humaine dans le flux de la vie et de la mort sur terre.

https://remue.net/juliette-mezenc-des-especes-de-dissolution?fbclid=IwAR1Gmj-LbDynaAwNKgAgwR-YGpKTk5rTSbbSIl7hjfWK89SSvJ_KvXxTehw

Joseph Kessel, Hollywood, ville-mirage, Les Éditions du Sonneur, juin 2020, 128 p., 15.50 €

«Hollywood! On y fabrique, à destination de la terre entière, des songes et du rire, de la passion, de l’effroi et des larmes. On y construit des visages et des sentiments qui servent de mesure, d’idéal ou de drogue à des millions d’êtres humains. Et de nouveaux héros s’y forment chaque année pour l’illusion des foules et des peuples.»
Hollywood, ville mirage est le récit du voyage que Joseph Kessel entreprit en 1936 au sein de l’industrie – en plein essor – du cinéma. Studios, acteurs, scénaristes, producteurs… il pose un regard cru et impitoyable sur les coulisses de cette « usine à mirages ».

« Pour être mince, car Kessel savait aller vite et à l’essentiel, ce volume n’en est pas moins délicieux. La verve de l’auteur s’y exprime par son incapacité à se laisser duper par ce gigantesque mirage, essentiellement industriel plus qu’artistique, qu’est cette ville dans la ville et le jeu de rôles qu’y jouent ses habitants : producteurs tout-puissants ou étoiles de celluloïd qui supportent mal la pleine lumière du jour et du regard de Kessel, qui en a vu d’autres. » Livres Hebdo, 22 mai 2020.

LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE

Valter Hugo Mãe, La Déshumanisation, traduit du portugais par Danielle Schramm, Denoël, juin 2020, 240 p., 19 €

 «Les gens commençaient à parler des sœurs mortes. La plus morte et la moins morte.»

Halla a onze ans quand elle perd sa sœur jumelle, son miroir. Ses parents ont enseveli les cendres de leur enfant en expliquant à la survivante qu’un bel arbre pousserait là. Mais rien n’est venu.
Sa mère, aussi froide que les paysages islandais qui l’entourent, la rejette, et son père fantasque ne parvient plus à communiquer avec elle. Halla devra apprendre, seule, à surmonter cette tragédie pour quitter l’enfance.
Roman d’une beauté et d’une puissance incomparables, La Déshumanisation questionne avec grâce notre rapport à l’existence.

Entretien avec  Valter Hugo Mãe dans Libération, 30 septembre 2016

 

POLARS

Dominique Manotti, Marseille 73, Les Arènes, juin 2020, 384 p., 20 €

La France connaît une série d’assassinats ciblés sur des Arabes, surtout des Algériens. On les tire à vue, on leur fracasse le crâne. En six mois, plus de cinquante d’entre eux sont abattus, dont une vingtaine à Marseille, épicentre du terrorisme raciste. C’est l’histoire vraie.

Onze ans après la fin de la guerre d’Algérie, les nervis de l’OAS ont été amnistiés, beaucoup sont intégrés dans l’appareil d’État et dans la police, le Front national vient à peine d’éclore. Des revanchards vont appeler à plastiquer les institutions représentant l’État algérien. C’est le décor.

Le jeune commissaire Daquin, vingt-sept ans, a été fraîchement nommé à l’Évêché, l’hôtel de police de Marseille, lieu de toutes les compromissions, où tout se sait et rien ne sort. C’est notre héros.

Tout est prêt pour la tragédie, menée de main de maître par Dominique Manotti, avec cette écriture sèche, documentée et implacable qui a fait sa renommée.
Un roman noir d’anthologie à mettre entre toutes les mains, pour ne pas oublier.

« Comme son héros, Manotti travaille « à l’ancienne ». Phrases courtes, ultra-descriptives, fil rouge politique… Les livres de cette agrégée d’histoire (…) s’inscrivent dans l’héritage du néopolar français. Notamment des romans de Didier Daeninckx (Meurtres pour mémoire, Gallimard, 1983), qui ont contribué à faire connaître les ratonnades d’octobre 1961 à Paris, et ceux de Frédéric H. Fajardie (1947-2008) pour la description d’une police raciste et corrompue. Une veine devenue rare, que l’on prend plaisir à retrouver. » Le Monde des Livres, 12 juin 2020

Lilja Sigurdardóttir, Trahison, traduit de l’islandais par Jean-Christophe Salaün, Métailié, juin 2020, 352 p., 22 €

Entre réseaux sociaux haineux et menaces physiques, c’est dur de faire de la politique quand on est une femme. Un Borgen cruel.

Un personnage attachant, des méchants insoupçonnables, un rythme rapide, une histoire haletante.

Après avoir fait ses armes dans la trilogie de Reykjavik, Lilja Sigurdardóttir abandonne ses précédents personnages et prend un nouveau départ couronné par le prix Icelandic Crime Fiction 2019.  Elle devient la reine du suspense nordique.

Après plusieurs missions humanitaires éprouvantes, Úrsúla accepte de remplacer au pied levé le ministre de l’Intérieur en attendant les prochaines élections. Elle découvre très vite que son administration n’est là que pour bloquer toutes ses initiatives. Aussitôt après sa première intervention publique, elle devient la proie d’un cyber-harcèlement menaçant et doit engager un garde du corps. Elle est également poursuivie par un sdf agressif, qui sort d’un hôpital carcéral.

Catapultée dans ce nouveau monde, cible systématique d’attaques sur les réseaux sociaux, elle découvre aussi l’attitude faussement compatissante mais réellement méprisante de ses confrères politiques. Elle tente cependant de faire son travail tout en affrontant le stress post-traumatique résultant de ses missions humanitaires ainsi que sa culpabilité vis-à-vis de son mari et de ses enfants.

Elle est, certes, entourée de gens en lesquels elle a confiance, mais la trahison ne vient-elle pas toujours des plus proches ?

https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/la-nuit-revee-danne-marie-metailie-1010-la-nuit-revee-danne-marie-metailie-entretien-33-1ere

Mikel Santiago, L’Étrange été de Tom Harvey, traduit de l’espagnol par Delphine Valentin, Actes Sud, juillet 2020, 400 p., 23 €       

Le fameux peintre Bob Ardlan semble être tombé du balcon de sa somptueuse villa de bord de mer au sud de Naples. Son ex-gendre enquête sur fond d’airs de jazz, de jet-set internationale et de rasades de limoncello.  Un polar romantique, élégant et agile, étrangement captivant par son ambiance surannée à la Agatha Christie.

 

LIVRES DE POCHE

Andrei Kourkov, Vilnius, Paris, Londres, traduit du russe par Paul Lequesne, Liana Lévi, juin 2020, 768 p., 13 €

C’est la fin des gardes-frontières et des contrôles de passeports, un immense espoir pour un pays minuscule: le 21 décembre 2007, à minuit, la Lituanie intègre enfin l’espace Schengen. Comme beaucoup de leurs compatriotes, trois couples se lancent dans la grande aventure européenne. Ingrida et Klaudijus tentent leur chance à Londres. Barbora et Andrius à Paris. Et si Renata et Vitas restent dans leur petite ferme, eux aussi espèrent voir souffler jusqu’à l’Est le vent du changement. Mais l’Europe peut-elle tenir ses promesses de liberté et d’union? Estampillés étrangers, bousculés par des habitudes et des langues nouvelles, ces jeunes Lituaniens verront l’eldorado s’éloigner de jour en jour. Mais pour Kukutis, un vieux sage qui traverse l’Europe à pied, «Peu importe la ville où l’on veut atterrir, c’est le voyage lui-même qui est la vie». Dans ce roman tour à tour drôle, tendre et mélancolique, Kourkov donne un visage à tous les désenchantés du rêve européen.

https://next.liberation.fr/livres/2018/10/03/vilnius-paris-londres-destins-sans-frontieres_1682953

Goliarda Sapienza, Les Certitudes du doute, traduit de l’italien par Nathalie Castagné, Le Tripode, juin 2020, 200 p., 11.50 €

Les Certitudes du doute est le récit de la relation passionnelle que Goliarda Sapienza eut, au début des années 1980, avec une jeune femme révolutionnaire rencontrée en prison. Ensemble, elles vont parcourir une Rome secrète et chancelante, prise entre le poids de son histoire et la désolation de la modernité marchande. 
Les Certitudes du doute dévoile aux lecteurs une autre facette de Goliarda Sapienza, celle d’une femme éprise, qui fait des rues et des sous-sols romains le théâtre de ses émotions. Après Moi, Jean Gabin, qui narrait son enfance en Sicile, et L’Université de Rebbibia, récit de son séjour carcéral dans la prison de Rome, ce nouveau récit clôt le cycle que Goliarda Sapienza avait intitulé Autobiographie des contradictions. 
Le texte témoigne une nouvelle fois de la quête incessante de vérité de Goliarda Sapienza, de son désir permanent de questionner sa vie et le monde qui l’entoure. Ancrée dans son siècle autant que farouchement décidée à échapper aux embrigadements de toutes sortes, elle nous donne une nouvelle leçon de vie.

https://next.liberation.fr/livres/2015/04/29/l-art-du-paradoxe-de-goliarda-sapienza_1276962

Leonardo Padura, La Transparence du temps, traduit de l’espagnol (Cuba) par Elena Zayas, Points, juin 2020, 528 p., 8.30 €

L’ex-inspecteur Mario Conde broie du noir. Mais un camarade de lycée réveille ses vieux instincts : Bobby le charge de retrouver la statue de la Vierge noire qui lui a été volée. Tout en enquêtant parmi les marchands d’art de La Havane, Conde contemple sa ville, les beaux quartiers et ceux rongés par la pauvreté. Un roman empreint d’humour noir et de mélancolie, doublé d’un éblouissant voyage dans l’histoire de Cuba.

« Dans une Havane invisible aux touristes, Leonardo Padura dit sa colère face aux trafics généralisés et exprime les désillusions nées d’une révolution qui échoue. » – Long Cours

https://www.franceculture.fr/emissions/les-masterclasses/leonardo-padura-la-litterature-ma-sauve-la-vie-a-bien-des-egards-0

Lauren Groff, Floride, traduit de l’anglais (États-Unis) par Carine Chichereau, Points, juin 2020, 212 p., 7.50 €

 Une panthère rôde, un ouragan se déclare, deux petites filles sont abandonnées sur une île… derrière le paysage de carte postale, la faune et la flore parfois hostiles de la Floride influent sur le destin des personnages de ce recueil. Mais Lauren Groff semble vouloir nous dire autre chose : les menaces les plus dangereuses, et les perturbations les plus puissantes viennent moins de l’extérieur que des recoins les plus isolés de notre intimité.

https://diacritik.com/2019/05/28/lauren-groff-elle-veut-la-verite-austere-et-froide-floride/

Elizabeth Jane Howard, Une Saison à Hydra, traduit de l’anglais par Cécile Arnaud, La Table Ronde, juin 2020, 544 p., 8.90 €

À soixante et un ans, Emmanuel Joyce est un dramaturge à succès. Accompagné de sa femme Lillian et de son manager dévoué Jimmy Sullivan, qui partage leur vie nomade, il s’apprête à quitter Londres le temps de repérer une comédienne pour la production de sa dernière pièce à Broadway. Alors qu’aucune candidate ne fait l’affaire, surgit l’idée de confier le rôle à Alberta, sa secrétaire de dix-neuf ans, tout droit sortie du presbytère de son père dans le Dorset. Seulement, il faudra lui apprendre le métier. Ils embarquent pour l’île grecque d’Hydra où Jimmy aura six semaines pour faire répéter l’ingénue, tandis qu’Emmanuel tâchera de renouer avec l’écriture. Lillian, fragilisée par sa maladie de cœur et dévastée par la mort de leur fille survenue plusieurs années auparavant, profitera de cette parenthèse loin des mondanités du théâtre pour tenter d’exorciser ses démons. Pourtant, elle ne sait se défaire de certains tourments : et si Emmanuel s’éprenait de la délicieuse Alberta? Le temps d’un été brûlant, la dynamique qui lie les quatre exilés prend une tournure inattendue, et la vie de chacun change de cap.

« Un roman dans la plus pure et excellente veine du réalisme à l’anglaise, c’est-à-dire une superbe démonstration d’acuité psychologique. (…) Accompagnant le mouvement, tant géographique que moral, de chacun — pour mieux révéler le seuil sur lequel, à son insu longtemps, il ou elle se tient, et qu’il va lui falloir sciemment franchir.» Télérama, 30 avril 2019.

 

POÉSIE

Pierre Vinclair, La Sauvagerie, Éditions Corti, juin 2020, 336 p., 22 €

La Sauvagerie est une épopée totale concernant l’enjeu le plus brûlant de notre époque : la crise écologique, la destruction massive des écosystèmes.

À partir de dizains d’abord commandés à 50 poètes contemporains, aux voix reconnues ou émergentes, francophones et anglophones, Pierre Vinclair a composé cet ensemble monumental : douze chants explorant les rapports variés que nous entretenons avec les autres vivants, les catastrophes passées et présentes comme les moyens dont nous disposons pour envisager un avenir commun — sur la Terre qui pour nous doit être, comme la Délie pour Scève, « l’objet de plus haute vertu ».

Dans ce livre de combat, toutes les ressources et tous les registres poétiques sont mobilisés : les poèmes se font tour à tour tombeaux de la sauvagerie perdue et refuges pour les espèces à protéger, description des catastrophes et chansons à la gloire des héros de l’écologie, méditation face à un arbre, souvenirs de paysages disparus, descente aux enfers, prophéties.

Entretien avec Christian Rosset, Diacritik, 4 juin 2020

Susette Gontard, La Diotima de Hölderlin, Lettres, documents et poèmes édités par Adolf Beck, traduits de l’allemand par Thomas Buffet, Éditions Verdier, juin 2020, 192 p., 18 €

Le 28 décembre 1795, le jeune poète Friedrich Hölderlin devient le précepteur des enfants de Jacob Friedrich Gontard, un riche banquier de Francfort. Très vite, Hölderlin tombe amoureux de l’épouse de son employeur, Susette Gontard. Friedrich a 25 ans, Susette 26.

L’idylle naissante entre le poète et la jeune femme sera favorisée par des circonstances exceptionnelles : à l’été 1796, les Français assiègent Francfort. Le banquier envoie sa femme, ses enfants et ses serviteurs près de Kassel pour les mettre à l’abri. Dès lors, Hölderlin et Susette Gontard nouent des liens d’une intensité exceptionnelle. Dans le roman qu’il est en train d’écrire, Hypérion, elle devient Diotima, du nom de la prêtresse de Mantinée dont Socrate rapporte l’enseignement sur l’amour dans Le Banquet de Platon.

En septembre 1798, une dispute éclate entre Hölderlin et Jacob Gontard, qui ne supporte plus les assiduités du jeune précepteur auprès de sa femme. Le poète quitte son emploi, mais reste secrètement en relation avec Diotima. Lorsqu’il apprendra sa mort, en 1802, son deuil insurmontable lui inspirera quelques-uns de ses plus beaux poèmes avant de contribuer au déclin de ses facultés mentales, jusqu’à la crise de folie qui le conduit en clinique psychiatrique en 1806, avant son installation chez le menuisier Zimmer à Tübingen. Les lettres, poèmes et témoignages contenus dans ce livre ont fait sortir la Diotima de Hölderlin de l’ombre où l’avait maintenue l’histoire littéraire. Elle se révèle une figure éminemment attachante, pleinement digne de l’amour que lui portait le poète, et tout à fait consciente du génie de celui-ci.

https://next.liberation.fr/livres/2020/06/19/luth-et-muse-sur-sept-ans-de-passion-entre-friedrich-holderlin-et-susette-gontard_1791802

REVUE

Collectif, Par ici la sortie, Cahiers éphémères et irréguliers pour saisir ce qui nous arrive et imaginer les monde de demain, n°1, Seuil, juin 2020, 192 p., 14.90 €

À l’heure où paraissent ces « cahiers », trois mois sont passés depuis que la pandémie mondiale du Covid-19 s’est imposée à nous, trois mois que le monde entier a basculé dans un état de crise dont on ne voit pas l’issue et dont on ne mesure pas les effets sur les sociétés qu’il a frappées.

Aux premières heures du confinement, des sentiments nombreux et contradictoires nous ont toutes et tous traversés : de la sidération à l’angoisse, de la tristesse à la colère… Et puis, très vite, les questions se sont bousculées dans nos têtes : que s’est-il donc passé ? Mais que nous arrive-t-il ? Quelles conséquences cet événement aura-t-il sur le monde et sur nos existences ? Et quelles leçons en tirer ? Il faut dire que, pour beaucoup d’entre nous, la vision d’un monde littéralement arrêté a soudain rendu évidentes, presque sensibles, les contradictions insoutenables dans lesquelles ce monde se trouvait pris depuis trop longtemps. Et si cette catastrophe était l’occasion d’empêcher qu’il retrouve sa trajectoire catastrophique antérieure ?

Comme le disait magnifiquement un graffiti repéré sur un mur de Hong Kong, « we can’t return to normal, because the normal that we had was precisely the problem». Autrement dit, serons-nous capables de saisir cet événement, à la fois le comprendre et nous en emparer, afin d’imaginer et construire le monde que nous voulons, le monde dont nous rêvons ?

Ces « cahiers » ne pouvaient être que collectifs, au sens fort, parce que issus d’une volonté partagée par les éditeurs et auteurs de la maison de faire sens face à l’événement. S’y engage une conception du travail intellectuel et du débat public comme espace de confrontation argumentée.

https://www.telerama.fr/idees/par-ici-la-sortie-une-revue-de-reflexion-pour-lapres-covid-voire-lapres-neoliberalisme-6655188.php

 

 

ESSAIS

Tiphaine Samoyault, Traduction et violence, Seuil, mars, 2020, 208 p., 18 €

Alors que la traduction assistée par ordinateur est sur le point de provoquer une mutation majeure dans nos façons de communiquer et dans notre relation aux langues, cet essai veut renouveler la pensée de la traduction. La sortir de l’éloge ou du consensus implique de ne plus voir en elle le seul espace de la rencontre heureuse entre les cultures mais de la comprendre comme une opération ambiguë, complexe, parfois négative.

Tiphaine Samoyault étudie les histoires de violence dans lesquelles la traduction a pu jouer un rôle (la domination coloniale, les camps d’extermination, les sociétés d’apartheid, les régimes totalitaires), ainsi que des cas littéraires qui illustrent les violences propres à l’espace du traduire. Mais parce que la traduction a aussi à voir avec la justice et la justesse, avec l’imprévisibilité de la rencontre et les transformations dans l’espace et le temps, la séparation qu’elle entraîne peut s’inverser en réparation de la violence commise.

Au-delà de la question de la traduction, ce livre s’adresse à toutes celles et à tous ceux qu’intéressent les dialogues entre les cultures, les littératures et les langues, et la possibilité politique de faire des mondes communs.

« Tiphaine Samoyault prend (…)  le contre-pied d(u) « tournant éthique » de la traduction en rappelant que transposer d’une langue à l’autre est aussi une manière de réduire la différence. Entre les acteurs d’une telle opération, il subsiste toujours une dissymétrie. Qu’il s’agisse d’un contexte de colonisation, où l’assimilation vise à effacer l’étrangeté de la langue dominée, ou simplement du marché littéraire, où les échanges, loin d’être réciproques, avantagent les langues véhiculaires, la traduction favorise ou masque, selon les cas, des rapports de violence. » Le Monde des Livres, 11 juin 2020.

Andrea Marcolongo, Étymologies, Pour survivre au chaos, traduit de l’italien par Béatrice Robert-Boissier, Belles Lettres, juin 2020, 336 p., 17.50 €

Notre langage est devenu faible, accablé de néologismes et rongé par l’à-peu-près. En un mot : pauvre.
Notre langage va mal. Ainsi le monde que nous déchiffrons.
Comment sortir du chaos de l’approximation ?
Comment nous réapproprier nos mots ?

Songez que la plus simple marguerite contient en elle une perle, un rayon de lune et l’histoire d’un amour rarissime ; ou que le secret des confins, inaccessibles et inquiétants, est en réalité d’accueillir l’autre avec confiance.
Avec 99 mots, Andrea Marcolongo dessine un atlas étymologique et nous montre comment et pourquoi l’histoire de ces mots est une boussole précieuse pour qui voudra bien s’en munir.
Et si notre instinct de la langue et l’amour des étymologies donnaient le pouvoir de changer le monde ?

Entretien étymologique avec Andrea Marcolongo

HISTOIRE


Elsa de Lavergne,
La Naissance du roman policier français, Du Second Empire à la Première Guerre mondiale, Classiques Garnier, juillet 2020, 413 p., 15 €

 

Cet ouvrage retrace la naissance du roman policier français depuis la fin du Second Empire jusqu’à la Première Guerre mondiale. Elsa de Lavergne dégage les facteurs historiques, littéraires et sociaux qui ont favorisé l’émergence et l’évolution de ce genre et propose un riche dossier documentaire assorti d’un florilège.

Bibliographie du livre

 

PHILOSOPHIE

Jacques Derrida, Le Calcul des langues, Seuil, juin 2020, 108 p., 18 €

Texte énigmatique et entièrement inédit, Le Calcul des langues marque la première tentative de Jacques Derrida d’écrire un livre en deux colonnes. Annoncé comme « à paraître » sur la quatrième de couverture de l’Archéologie du frivole (1973) mais jamais publié du vivant de l’auteur, le tapuscrit de ce projet inachevé fut retrouvé chez Derrida après son décès. La publication posthume de ce texte fort original met au jour un véritable laboratoire typographique où, avant l’écriture de l’un de ses textes les plus célèbres, Glas (1974), Derrida ose couper la page en deux en vue de repenser la relation entre philosophie et écriture.

Poursuivant une réflexion sur les sciences du langage au XVIIIe siècle entamée avec De la grammatologie (1967), Derrida propose ici une lecture en partie double de L’Art d’écrire de Condillac. Mais à la différence de Glas, dont les deux colonnes confrontent un philosophe (Hegel) à un auteur littéraire (Genet), Le Calcul des langues confronte Condillac à lui-même. Si la colonne de gauche propose une exégèse plutôt conventionnelle et méthodologique de L’Art d’écrire, celle de droite divague sans cesse, multipliant les digressions en direction de Freud et d’autres penseurs, à la recherche d’un plaisir de l’écriture qui échapperait à la philosophie.

Lecture de Condillac en deux colonnes, donc, mais aussi en « deux styles » comme l’indique le sous-titre (« Distyle »), cet ouvrage tout à fait singulier dans le corpus derridien donne à lire l’une des plus belles expérimentations de l’écriture déconstructrice.

Le texte a été établi par Geoffrey Bennington et Katie Chenoweth.

 

 

BANDES DESSINÉES

Hubert, Zanzim, Peau d’homme, Glénat, juin 2020, 160 p., 27 €

Dans l’Italie de la Renaissance, Bianca, demoiselle de bonne famille, est en âge de se marier. Ses parents lui trouvent un fiancé à leur goût : Giovanni, un riche marchand, jeune et plaisant. Le mariage semble devoir se dérouler sous les meilleurs auspices même si Bianca ne peut cacher sa déception de devoir épouser un homme dont elle ignore tout. Mais c’était sans connaître le secret détenu et légué par les femmes de sa famille depuis des générations : une « peau d’homme » ! En la revêtant, Bianca devient Lorenzo et bénéficie de tous les attributs d’un jeune homme à la beauté stupéfiante. Elle peut désormais visiter incognito le monde des hommes et apprendre à connaître son fiancé dans son milieu naturel. Mais dans sa peau d’homme, Bianca s’affranchit des limites imposées aux femmes et découvre l’amour et la sexualité.

La morale de la Renaissance agit alors en miroir de celle de notre siècle et pose plusieurs questions : pourquoi les femmes devraient-elles avoir une sexualité différente de celle des hommes ? Pourquoi leur plaisir et leur liberté devraient-ils faire l’objet de mépris et de coercition ? Comment enfin la morale peut-elle être l’instrument d’une domination à la fois sévère et inconsciente ?

À travers une fable enlevée et subtile comme une comédie de Billy Wilder, Hubert et Zanzim questionnent avec brio notre rapport au genre et à la sexualité… mais pas que. En mêlant ainsi la religion et le sexe, la morale et l’humour, la noblesse et le franc-parler, Peau d’homme nous invite tant à la libération des mœurs qu’à la quête folle et ardente de l’amour.

« Derrière les situations vaudevillesques et la fable plaisante et enlevée sourd une critique sociale virulente. Intégristes religieux, homophobes, tenants rassis du patriarcat et de l’ordre moral, censeurs, frustrés : tous les empêcheurs de s’aimer en rond et surtout à sa guise sont éreintés avec brio et humour — la patte d’Hubert, scénariste rare et, hélas, récemment disparu. Le dessin élégant et plein de vigueur de son compère de toujours, Zanzim (L’IÎe aux femmes, La Sirène des pompiers), confère à cet album posthume une portée toute particulière. » Télérama, 9 juin 2020

                       

 

JEUNESSE

Timothy de Fombelle, François Place (ill.), Alma, Le vent se lève, Gallimard jeunesse, juin 2020, 400 p., 18 €. À partir de 11 ans.

Le jour où son petit frère disparaît, Alma part sur ses traces, loin de sa famille et de la vallée d’Afrique qui les protégeait du reste du monde. Au même moment, dans le port de Lisbonne, Joseph Mars se glisse clandestinement à bord d’un navire de traite, La Douce Amélie. Il est à la recherche d’un immense trésor. Dans le tourbillon de l’Atlantique, entre l’Afrique, l’Europe et les Caraïbes, leurs quêtes et leurs destins les mènent irrésistiblement l’un vers l’autre.

« Si Timothée de Fombelle, qui a découvert l’histoire de la traite à 13 ans, alors qu’il vivait en Afrique, s’est beaucoup documenté afin d’écrire Alma, le savoir qui transparaît dans les pages est au service de la précision et de la concision : pas question que le lecteur s’ennuie. Le rythme cousine avec celui des grands feuilletons du XIXe siècle à la Dumas. Bien sûr, les destins des héros vont se croiser, mais les mystères sont si fournis qu’il semble impossible d’imaginer les rebondissements à venir. » Le Monde des Livres, 10 juin 2020

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