Sélection de la rentrée – Librairie Le Nom de l’homme

Accueil/Lire écouter voir, Non classé/Sélection de la rentrée – Librairie Le Nom de l’homme

LA SÉLECTION D’AOÛT ET SEPTEMBRE 2021

LITTÉRATURE FRANÇAISE 

Marie Richeux, Sages femmes, Sabine Wespieser, août 2021, 200 p., 19 €

Hantée par des rêves de chevaux fous aux prénoms familiers, poursuivie par la question que sa fille pose à tout propos – « Elle est où, la maman ? » –, Marie vit un étrange été, à la croisée des chemins. Quand, sur le socle d’une statue de la Vierge au milieu du causse, elle découvre l’inscription Et à l’heure de notre ultime naissance, elle décide d’en explorer la mystérieuse invitation.

Dès lors, elle tente de démêler l’écheveau de son héritage. En savoir plus sur ses aïeules qui, depuis le mitan du XIXesiècle, ont donné naissance à des petites filles sans être mariées, et ont subsisté souvent grâce à des travaux d’aiguille, devient pour elle une impérieuse nécessité.

Elle interroge ses tantes et sa mère, qui en disent peu ; elle fouille les archives, les tableaux, les textes religieux et adresse, au fil de son enquête, quantité de questions à un réseau de femmes, historiennes, juristes, artistes, que l’on voit se constituer sous nos yeux. Bien au-delà du cercle intime, sa recherche met à jour de puissantes destinées. À partir des vies minuscules de ses ascendantes, et s’attachant aux plus émouvants des détails, Marie imagine et raconte ce qu’ont dû traverser ces « filles-mères », ces « ventres maudits » que la société a malmenés, conspués et mis à l’écart.

À fréquenter tisserandes et couturières, à admirer les trésors humbles de leurs productions, leur courage et leur volonté de vivre, la narratrice découvre qu’il lui suffit de croiser fil de trame et fil de chaîne pour rester ce cheval fou dont elle rêve et être mère à son tour.

Car le motif têtu de ce troublant roman, écrit comme un pudique hommage à une longue et belle généalogie féminine, est bien celui de la liberté, conquise en héritage, de choisir comment tisser la toile de sa propre destinée.

« Sans cesse sur le motif, Marie Richeux (…) passe de la dépossession de soi à la liberté retrouvée, en femme fidèle à ses intuitions, à ses angoisses fructueuses, les résolvant aussi bien avec un vêtement tricoté qu’un livre. » Livres Hebdo, juin 2021

 

Thomas Reverdy, Climax, Flammarion, août 2021, 336 p., 20 €

C’est une sorte de village de pêcheurs aux maisons d’un étage, niché au creux d’un bras de mer qui s’enfonce comme une langue, à l’extrême nord de la Norvège. C’est là que tout a commencé : l’accident sur la plateforme pétrolière, de l’autre côté du chenal, la fissure qui menace dangereusement le glacier et ces poissons qu’on a retrouvés morts. Et si tout était lié ?

C’est en tant qu’ingénieur géologue que Noah, enfant du pays, va revenir en mission et retrouver Anå, son amour de jeunesse, ainsi que les anciens amis qu’il avait initiés aux jeux de rôle. Il était alors Sigurd, du nom justement de cette maudite plateforme.

Avec Climax, Thomas B. Reverdy réveille le roman d’aventures en lui offrant une dimension crépusculaire et contemporaine puisque désormais les glaciers fondent, les ours meurent et l’homme a irrémédiablement tout abîmé. Au moins, il reste la fiction pour raconter cette dernière aventure, celle de la fin d’un monde.

https://www.pagedeslibraires.fr/livre/climax 

 

Thierry Froger, Et pourtant ils existent, Actes Sud, août 2021, 336 p., 20 €

 Entre l’assassinat de Jaurès et la guerre d’Espagne, entre la grande Histoire et les vies minuscules, comment s’écrit et se détricote la légende des héros ambigus.

Et pourtant ils existent reconstruit patiemment et non sans malice les exploits questionnables de Florentin Bordes, soldat têtu de la liberté, totem de sa propre famille, au cœur d’un tourbillon romanesque où les voix se répondent, se poursuivent, se contredisent pour démêler équivoques du réel, vérités improbables et infaillibles hypothèses de la fiction. Thierry Froger signe un roman fête foraine dont chaque attraction serait un point de bascule du XXe siècle. Grisant.

http://correspondances-manosque.org/fiche_programme/patrick-deville-thierry-froger/?lieu=festival-in

 

 

Antoine Wauters, Mahmoud ou la montée des eaux, Verdier, août 2021, 144 p., 15.20 €

Un vieil homme rame à bord d’une barque, seul au milieu d’une immense étendue d’eau. En dessous de lui, sa maison d’enfance, engloutie par le lac el-Assad, né de la construction du barrage de Tabqa, en 1973.

Fermant les yeux sur la guerre qui gronde, muni d’un masque et d’un tuba, il plonge – et c’est sa vie entière qu’il revoit, ses enfants au temps où ils n’étaient pas encore partis se battre, Sarah, sa femme folle amoureuse de poésie, la prison, son premier amour, sa soif de liberté.

Antoine Wauters lit un extrait de Mahmoud ou la montée des eaux

 

Santiago H. Amigorena, Le premier exil, P.O.L, août 2021, 336 p., 20 €

« Je savais que ces hommes faisaient partie de ces groupes paramilitaires que tout le monde en Uruguay craignait tant – comme je savais que cette femme menottée qui me tournait le dos était ma mère. »

Le Ghetto intérieur racontait le silence, en 1945, de celui qui deviendrait le grand-père de l’auteur, Vicente Rosenberg, qui émigra à Buenos Aires. Le Premier Exil s’ouvre sur la mort, vingt ans plus tard, dans cette même ville, de l’arrière-grand-père maternel, l’abuelo Zeide, un Juif originaire de Kiev. Mais la famille du narrateur a dû fuir l’Argentine pour l’Uruguay, et échapper à la dictature, après le coup d’État militaire en 1968. C’est le roman d’un âge plus mystérieux que tous les autres, qui a commencé quand le narrateur avait six ans par un premier exil d’Argentine en Uruguay, et s’est achevé à douze ans par un second exil, en Europe.

Avec un sens de l’autodérision et du drame, l’auteur fait l’histoire des origines de son propre silence, de sa relation tourmentée au langage, de ses traumas, de son apprentissage de la vie, et de l’intuition première de la puissance de la littérature dans une existence. Derrière ce récit d’une enfance inquiète, laconique, le livre dresse aussi le portrait du continent sud-américain que recouvre peu à peu une nuit sanglante, où la torture et les disparitions deviennent routinières. 

 

LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE

 

Leonardo Padura, Poussière dans le vent, traduit de l’espagnol (Cuba) par René Solis, Métailié, août 2021, 640 p., 24.20 €

Ils ont vingt ans. Elle arrive de New York, il vient de Cuba, ils s’aiment. Il lui montre une photo de groupe prise en 1990 dans le jardin de sa mère. Intriguée, elle va chercher à en savoir plus sur ces jeunes gens.

Ils étaient huit amis soudés depuis la fin du lycée. Les transformations du monde et leurs conséquences sur la vie à Cuba vont les affecter. Des grandes espérances jusqu’aux pénuries de la « Période spéciale » des années 90, après la chute du bloc soviétique, et à la dispersion dans l’exil à travers le monde. Certains vont disparaître, certains vont rester, certains vont partir.

Des personnages magnifiques, subtils et attachants, soumis au suspense permanent qu’est la vie à Cuba et aux péripéties universelles des amitiés, des amours et des trahisons.

Depuis son île, Leonardo Padura nous donne à voir le monde entier dans un roman universel. Son inventivité, sa maîtrise de l’intrigue et son sens aigu du suspense nous tiennent en haleine jusqu’au dernier chapitre.

Ce très grand roman sur l’exil et la perte, qui place son auteur au rang des plus grands écrivains actuels, est aussi une affirmation de la force de l’amitié, de l’instinct de survie et des loyautés profondes.

« En quoi consiste vraiment l’identité d’une diaspora ? Est-elle vouée à se disperser avec le temps, comme la « poussière dans le vent » qui inspire son titre au roman ? Maître du suspense, Leonardo Padura s’empare des codes du roman choral pour évoquer les destins d’une bande d’amis exilés à travers le monde pendant la « Période spéciale », une terrible crise économique qui frappa Cuba après l’effondrement de l’URSS. Amour ou haine, les sentiments les reliant à leur terre d’origine demeurent vivaces, et leurs enfants les ont reçus en héritage. »

Lire Magazine Littéraire, juillet-août 2021

 

Ta-Nehisi Coates, La Danse de l’eau, traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Demarty, Fayard, août 2021, 480 p., 23 € 

Le jeune Hiram Walker est né dans les fers. Le jour où sa mère a été vendue, Hiram s’est vu voler les souvenirs qu’il avait d’elle. Tout ce qui lui est resté, c’est un pouvoir mystérieux que sa mère lui a laissé en héritage. Des années plus tard, quand Hiram manque se noyer dans une rivière, c’est ce même pouvoir qui lui sauve la vie.

Après avoir frôlé la mort, il décide de s’enfuir, loin du seul monde qu’il ait jamais connu. Ainsi débute un périple plein de surprises, qui va entraîner Hiram depuis la splendeur décadente des 1ères plantations de Virginie jusqu’aux bastions d’une guérilla acharnée au cœur des grands espaces américains, du cercueil esclavagiste du Sud profond aux mouvements dangereusement idéalistes du Nord.

Alors même qu’il s’enrôle dans la guerre clandestine qui oppose les maîtres aux esclaves, Hiram demeure plus que jamais déterminé à sauver la famille qu’il a laissée derrière lui. Dans son premier roman, Ta-Nehisi Coates livre un récit profondément habité, plein de fougue et d’exaltation, qui rend leur humanité à tous ceux dont l’existence fut confisquée, leurs familles brisées, et qui trouvèrent le courage de conquérir leur liberté.

https://actualitte.com/article/101342/avant-parutions/la-danse-de-l-eau-de-ta-nehesi-coates-le-pouvoir-de-l-homme-libre

 

Jan Carson, Les Lanceurs de feu, traduit de l’anglais (Irlande du Nord) par Dominique Goy-Blanquet, Sabine Wespieser, septembre 2021, 384 p., 23 €

À Belfast, l’été 2014 restera dans les mémoires comme celui des Grands Feux. Bien avant les foyers traditionnellement élevés à l’occasion de la parade orangiste du 12 juillet, de gigantesques incendies illuminent la ville en toute illégalité, ravivant le spectre des Troubles.

Jan Carson choisit les trois mois de cette saison si particulière pour confronter le quotidien de deux pères de famille, l’un et l’autre rongés par l’angoisse. Jonathan Murray, médecin, ne cesse de se remémorer la nuit de garde pendant laquelle il n’a pu résister à la voix enchanteresse d’une femme qui le hante désormais. Élevant seul leur enfant, il oscille entre le ravissement et la terreur de découvrir sur le petit visage inoffensif l’empreinte de sa fascinante génitrice… Quant à Sammy Agnew, ancien paramilitaire loyaliste, il tremble de devoir s’avouer que, sur la vidéo anonyme et virale du « Lanceur de feu » appelant à propager la rébellion, il reconnaît la silhouette de son propre fils.

Dans la chaleur de l’été, alors que la panique gagne et que Belfast s’embrase, ces pères, que tout sépare, partagent leur culpabilité et leur impuissance face à la violence qu’ils craignent d’avoir engendrée, et finissent par se rencontrer…

Leurs tribulations apparaissent comme la métaphore de cette ville où protestants et catholiques, flics et manifestants, pauvres et riches se frôlent sans se connaître, et dont Jan Carson dresse un éblouissant portrait. Son réalisme et son incroyable énergie narrative font merveille pour embarquer le lecteur dans des situations où tout peut arriver… même croiser des enfants dotés de pouvoirs spéciaux. Comme le dit Sammy à Jonathan, il suffit d’aller voir ce qui se passe de l’autre côté de la rue.

Le Monde, 23 mai 2021

 

Antonio Moresco, Les Ouvertures, traduit de l’italien par Laurent Lombard, Verdier, septembre 2021, 704 p., 31 €

Trois moments de la vie du narrateur, trois ouvertures dans l’obscurité d’une existence, scandent ce récit troublant et vertigineux : les années de séminaire, celles de l’activisme politique et celles des débuts de sa vocation littéraire.

Cette épopée individuelle retrace une lente et douloureuse tentative de renaissance qui puise sa vitalité dans le dérèglement des perspectives et l’obsession du franchissement des limites – autant de jeux de l’éternité susceptibles de transfigurer le monde.

Les trois expériences peuvent être vues comme trois tableaux de notre histoire récente : les années cinquante-soixante, pesantes et silencieuses, qui précèdent les explosions ; les luttes et les tumultes des années soixante-dix venues clore une époque inaugurée avec les grandes révolutions politiques des dix-huit et dix-neuvième siècles ; enfin, les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, fascinantes et spectrales, qui amorcent le déploiement furieux de la
modernité.

Porté par une prose imagée inventive et foisonnante, presque hypnotique, ce roman apparaît d’une originalité exceptionnelle dans le paysage littéraire contemporain.

https://www.franceculture.fr/emissions/hors-champs/antonio-moresco-fable-l-italienne

  

POLAR

 

Frédéric Paulin, La nuit tombée sur nos âmes, Agullo, septembre 2021, 288 p., 21.50 €

Gênes, juillet 2001.

Les chefs d’État des huit pays les plus riches de la planète se retrouvent lors du G8. Face à eux, en marge du sommet, 500 000 personnes se sont rassemblées pour refuser l’ordre mondial qui doit se dessiner à l’abri des grilles de la zone rouge. Parmi les contestataires, Wag et Nathalie sont venus de France grossir les rangs du mouvement altermondialiste. Militants d’extrême-gauche, ils ont l’habitude des manifs houleuses et se croient prêts à affronter les forces de l’ordre.

Mais la répression policière qui va se déchaîner pendant trois jours dans les rues de la Superbe est d’une brutalité inédite, attisée en coulisses par les manipulations du pouvoir italien. Et de certains responsables français qui jouent aux apprentis-sorciers. Entre les journalistes encombrants, les manœuvres de deux agents de la DST, et leurs propres tiraillements, Wag et Nathalie vont se perdre dans un maelstrom de violence. Il y aura des affrontements, des tabassages, des actes de torture, des trahisons et tant de vies brisées qui ne marqueront jamais l’Histoire.

Qui se souvient de l’école Diaz ? Qui se souvient de la caserne de Bolzaneto ? Qui se souvient encore de Carlo Giuliani ? De ces journées où ils auront vu l’innocence et la jeunesse anéanties dans le silence, ils reviendront à jamais transformés. Comme la plupart des militants qui tentèrent, à Gênes, de s’opposer à une forme sauvage de capitalisme. 

https://actualitte.com/article/101784/avant-parutions/la-nuit-tombee-sur-nos-ames-de-frederice-paulin-espionnage-au-coeur-de-genes

 

HISTOIRE

 

Paulin Ismard (dir.), Les Mondes de l’esclavage, Seuil, septembre 2021, 896 p. 33 €

Cet ouvrage d’une ambition exceptionnelle présente sous une forme accessible à un large public une histoire inédite de l’esclavage depuis la Préhistoire jusqu’au présent. Il paraît vingt ans après le vote de la loi Taubira, alors que la prise de conscience du passé esclavagiste est chaque jour plus aiguisée au sein de la société française.

L’histoire de l’esclavage, trop longtemps tenue pour une forme de passé subalterne, est ici replacée au cœur de l’histoire mondiale. Le livre renouvelle une approche comparée dans l’étude du phénomène esclavagiste, qui conduit le lecteur de l’Inde ancienne aux Antilles du XVIIIe siècle, de la Chine des Han jusqu’au Brésil colonial, de l’Egypte médiévale à l’Ouganda contemporain. Loin de banaliser la singularité monstrueuse de l’esclavage colonial issu de la traite transatlantique, la comparaison contribue à l’éclairer.

Ce livre fait donc le pari de la connaissance et de la réflexion, convaincu que le savoir historique offre des ressources critiques qui ont le pouvoir d’émanciper. Le parti pris du monde et la perspective comparatiste qui sont la sienne souhaitent enrichir les scènes et les figures depuis lesquelles relire notre histoire, mais aussi, espérons-le, tracer des chemins vers d’autres futurs possibles.

https://youtu.be/knU9DID3Oik 

 

Marie-Laurence Haack, À la découverte des Étrusques, La Découverte, août 2021, 368 p., 23 €

Les Étrusques, un peuple d’Italie disparu au Iersiècle av. J.-C. dans sa confrontation avec Rome, restent pour une grande part mal connus. Leur mode de vie comme leur système politique suscitent des interrogations et on comprend toujours mal leur langue même s’ils ont adopté l’alphabet grec. Pourtant, les vestiges archéologiques abondent dans toute l’Italie centrale.

On est toujours émerveillé par les célèbres fresques des tombes de Tarquinia qui mettent en scène leur vie quotidienne et semblent donner aux femmes un statut qui leur était refusé dans les autres cultures de l’Antiquité : le visiteur fait face à des Étrusques banquetant, jouant, dansant, dans une impression d’harmonie.

L’originalité de ce livre est d’explorer parallèlement l’histoire des Étrusques et l’histoire des tentatives faites au fil des siècles pour les comprendre, voire pour fabriquer des mythes… et des légendes. C’est une incroyable histoire de pillages, de mensonges, de falsifications, de simplifications outrancières que l’autrice restitue pour comprendre la fascination exercée par ce peuple qui a profondément influencé les Romains. En parcourant les sites les plus célèbres de l’histoire étrusque, Marie-Laurence Haack rend justice à l’extraordinaire singularité de ce peuple.

« Reste que la fascination liée à leur origine mystérieuse est sans doute vaine. « Ce que nous appelons « étrusque » est une combinaison, à un moment donné, d’éléments indigènes et hétérogènes. » Mais même sans avoir résolu cette énigme, ce livre est important et possède de nombreuses qualités : le savoir, la clarté, le goût de la transmission dans un langage accessible. »
Livres Hebdo, 9 août 2021

 

ESSAI

 

Philippe Descola, Les Formes du visible, Seuil, septembre 2021, 848 p., 35 €

La figuration n’est pas tout entière livrée à la fantaisie expressive de ceux qui font des images. On ne figure que ce que l’on perçoit ou imagine, et l’on n’imagine et ne perçoit que ce que l’habitude nous a enseigné à discerner. Le chemin visuel que nous traçons spontanément dans les plis du monde dépend de notre appartenance à l’une des quatre régions de l’archipel ontologique : animisme, naturalisme, totémisme ou analogisme. Chacune de ces régions correspond à une façon de concevoir l’ossature et le mobilier du monde, d’en percevoir les continuités et les discontinuités, notamment les diverses lignes de partage entre humains et non-humains.

Masque yup’ik d’Alaska, peinture sur écorce aborigène, paysage miniature de la dynastie des Song, tableau d’intérieur hollandais du XVIIe siècle : par ce qu’elle montre ou omet de montrer, une image révèle un schème figuratif particulier, repérable par les moyens formels dont elle use, et par le dispositif grâce auquel elle pourra libérer sa puissance d’agir. Elle nous permet d’accéder, parfois mieux que par des mots, à ce qui distingue les manières contrastées de vivre la condition humaine. En comparant avec rigueur des images d’une étourdissante diversité, Philippe Descola pose magistralement les bases théoriques d’une anthropologie de la figuration.

https://lamanufacturedidees.org/2021/06/30/les-formes-du-visible/

 

Didier Fassin, Les Mondes de la santé publique,Excursions anthropologiques. Cours au collège de France 2020-2021, Seuil, septembre 2021, 400 p., 23 €

Avec la pandémie de covid, la santé publique, domaine jusqu’alors méconnu, a fait irruption dans le monde. Tout ce qui fait le mouvement des sociétés s’est brusquement mis à tourner autour des questions sanitaires. Pour inscrire ce moment dans un cadre plus vaste, le cours au Collège de France qui fournit la matière de ce livre propose un détour en partant d’une scène ordinaire, celle du saturnisme infantile, pour, au fil des leçons, en décliner les enjeux à travers une série d’études de cas menées sur trois continents.

La vérité du chiffre invite à réfléchir à la manière dont le travail de quantification prétend représenter les faits sociaux et sanitaires. Les frontières épistémiques interrogent la confrontation de conceptions profanes et savantes de la maladie. Les thèses conspirationnistes révèlent des réactions de défiance à l’égard des savoirs autorisés et des pouvoirs officiels. Les crises éthiques dévoilent des mécanismes de violation des droits et de détournement des biens communs au bénéfice d’intérêts privés.

Quant aux enquêtes portant sur les exils précaires et les épreuves carcérales, elles permettent d’appréhender la généalogie et la sociologie de l’administration des populations vulnérables. Chacun de ces enjeux jette un éclairage singulier sur l’expérience pandémique.
Au terme de ces excursions anthropologiques, la santé publique peut apparaître à la fois comme un miroir tendu à la société et un reflet que cette dernière lui renvoie.

https://www.franceculture.fr/emissions/les-cours-du-college-de-france/les-mondes-de-la-sante-publique-excursions-anthropologiques-18-naissance-de-la-sante-publique

  

PHILOSOPHIE

 

Paul Audi, Le choix d’Hémon, Galilée, septembre 2021, 138 p, 12 €

Hémon a tout essayé pour faire entendre raison à son entourage devenu fou. Mais il lui faut prendre acte de son malheur : Antigone, sa fiancée, est morte d’avoir désobéi aux lois de la Cité, et Créon, son père, est muré dans son obstination tyrannique. Maintenant que l’amour lui échappe et que le pouvoir lui répugne, voilà que son univers, qui reposait tout entier sur ces puissants piliers, s’écroule.

Quand on a tout perdu, que reste-t-il encore à faire ?

Telle est la question que se pose Hémon à l’heure du choix.

https://www.operanationaldurhin.eu/fr/spectacles/saison-2020-2021/opera/hemon-zad-moultaka-paul-audi 

 

REVUE

 

La Déferlante n°3, Se battre, La Déferlante, septembre 2021, 160 p., 19 €

La Déferlante est la première revue trimestrielle post-#metoo consacrée aux féminismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abonnement, elle raconte les luttes et les débats qui secouent notre société. Dans un paysage médiatique encore très majoritairement masculin,La Déferlanteest une revue créée et dirigée par des femmes, pour donner la parole aux femmes et visibiliser leurs vécus et leurs combats.

Nous vivons une époque charnière dans laquelle les mobilisations féministes, dans la rue comme sur les réseaux sociaux, se réinventent, se multiplient et deviennent centrales. (…)

Pour raconter la pluralité des révolutions féministes, La Déferlantene se cantonne pas à l’actualité française. Elle explore le monde, va à la rencontre des femmes qui luttent, parcourt les époques, pour replacer les combats actuels dans une généalogie historique.

La Déferlantea pour ambition de déconstruire les normes de genre, celles qui se logent partout et principalement dans les creux de nos vies quotidiennes. Aussi, nous consacrerons dans chaque numéro un dossier central à un thème déclinable à l’infinitif : manger, se battre, aimer, voter, etc.

https://www.la-croix.com/Economie/Deferlante-revue-penser-lepoque-post-MeToo-2021-03-04-1201143785

 

 

LIVRES DE POCHE

  

Baptiste Morizot, Sur la piste animale, Actes Sud, août 2021, 208 p., 7.70 €

Nul n’existe sans laisser de traces. Pister est, alors, une manière très sûre pour apprendre à connaître quelqu’un : de l’ours du Yellowstone aux loups du Var, de la panthère des neiges du Kirghizistan aux lombrics de nos composts d’appartement. À travers les récits de ses expériences de pistage, Baptiste Morizot nous invite à voir par les yeux des grands prédateurs qu’il rencontre. Pister, c’est décrypter indices et empreintes à la manière d’un détective sauvage pour demander : qui habite ici ? Comment vivent-ils ? Et surtout, comment faire monde commun avec eux ? À partir du terrain, le pistage devient philosophique : il se transforme en une pratique de la sensibilité, en la recherche d’une autre qualité d’attention. C’est une expédition vers des contrées inexplorées : nos relations au vivant et à nos animalités intérieures.

https://www.liberation.fr/debats/2018/12/25/baptiste-morizot-sur-la-piste-du-loup-l-homme-depourvu-de-nez-doit-eveiller-l-oeil-qui-voit-l-invisi_1699669/

 

Maria Pourchet, Toutes les femmes sauf une,J’ai Lu, août 2021, 128 p., 6.90 €

Dans une maternité, une femme épuisée. Elle vient d’accoucher d’une fille, Adèle, et contemple le berceau, entre amour, colère et désespoir. Quelque chose la terrifie : la loi de la reproduction. De génération en génération, les femmes de sa lignée transportent la blessure de leur condition dans une chaîne sans merci où chacune « paye l’ardoise » de la précédente. Elle le sait, elle est faite de l’histoire et de la douleur de ses aînées. Mais elle voudrait que ça s’arrête. Qu’Adèle soit neuve, libre.
Alors comme on vide les armoires, comme on nettoie, elle raconte. S’adressant au bébé, elle explore la fabrique silencieuse de la haine de soi qui s’hérite aussi bien que la vaisselle. Défiance du corps, diabolisation de la séduction, ravages discrets de la jalousie mère-fille… Elle offre à Adèle un portrait tourmenté de la condition féminine, où le tort fait aux femmes par les femmes apparaît dans sa violence ordinaire.
En mettant à nu, rouage après rouage, la mécanique de la transmission, elle pourrait bien parvenir à la détruire. 

http://www.livresselitteraire.com/2018/11/toutes-les-femmes-sauf-une-de-maria-pourchet.html

 

Chigozie Obioma, La Prière des oiseaux, traduit de l’anglais par Serge Chauvin, J’ai Lu, septembre 2021, 576 p., 8.80 €

Chinonso, éleveur de volailles au Nigeria, croise une jeune femme sur le point de se précipiter du haut d’un pont. Terrifié, il tente d’empêcher le drame et parvient à sauver la malheureuse Ndali. Cet épisode va les lier indéfectiblement.
Mais leur union est impossible : Ndali vient d’une riche famille et fréquente l’université, alors que Chinonso n’est qu’un modeste fermier… Pour devenir digne de celle qu’il aime, le jeune homme décide de partir étudier à l’étranger, en Crête précisément, scellant ainsi le sort tragique de sa relation avec Ndali.
La prière des oiseaux est une épopée bouleversante à travers l’Afrique et l’Europe, où le destin joue un rôle central. Chinonso et Ndali pourront-ils y échapper ?

https://www.jeuneafrique.com/928734/culture/la-priere-des-oiseaux-lorchestre-des-minorites-sous-la-plume-de-chigozie-obioma/

 

 

BANDES DESSINÉES

Richard Marazano, Gabriel Delmas, Circé la Magicienne, Dargaud, août 2021, 64 p., 15 €

Dans le chant X de l’Odysséed’Homère et dans toutes les formes ultérieures de ce mythe, la magicienne Circé est présentée comme une femme fatale qui utilise le plaisir pour corrompre les sens des hommes.

Dans un style graphique réaliste, ce récit, bien qu’assez fidèle dans sa chronologie, propose une vision résolument différente de la version d’Homère : raconté du point de vue de Circé, il se place du côté des femmes soumises à la violence de la domination masculine et contraintes de se défendre.

https://www.dargaud.com/actualites/circe-la-magicienne-photo

 

Santiago Bará, Rencontres, Bang, septembre 2021, 216 p., 15 €

32021 avant J.-C., Ardèche. Grdanta rejette les traditions stupides des hommes de son village et rêve de communion entre deux êtres, de besoin de l’autre, d’une vie spirituelle, éternelle, qu’elle appelle “amour”.
1817, Schöna. Caspar ne comprend pas ce sentiment constant de ne pas être à sa place, cette envie de s’échapper, cette sorte absence dans son corps… Pourtant, il a une famille et des amis qui l’aiment. Pourquoi n’est-il pas heureux ?
2020, Moaña. Deux vieux amis se retrouvent au hasard d’une promenade et se racontent les événements des dernières années de leurs vies. Elle rentre de Londres où elle a vécu de nombreuses années. Il vient de terminer une relation de plus de 12 ans. Comment se retrouver soi-même lorsqu’une partie de notre identité appartient au passé ?

https://www.bandedessinee.info/Rencontres-bd

 

JEUNESSE

Claire de Gastold, Une Maison pour Marvin, L’École des Loisirs, juin 2021, 12.70 €

6-8 ans

Marvin est un gros chien qui dort dans la rue. Dès qu’elle croise sa route, Mona décide de s’occuper de lui. Comme ses parents ne sont pas d’accord pour le prendre sous leur toit, Mona cherche partout dans les environs. Trop petit, trop cher, trop plein… Il faut explorer encore plus loin. À force d’insister, l’infatigable Mona et son protégé vont faire une série de rencontres inattendues, et trouver leur bonheur.

https://ileauxtresors.blog/2021/06/24/une-maison-pour-marvin-de-claire-de-gastold-lecole-des-loisirs-2021/

 

 

Aller en haut