Sélection d’octobre 2020

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LITTÉRATURE FRANÇAISE

Mathias Enard, Le Banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs, Actes Sud, octobre 2020, 432 p., 22.50 €

Pour les besoins d’une thèse consacrée à “la vie à la campagne au XXIe siècle”, l’apprenti ethnologue David Mazon a quitté Paris et pris ses quartiers dans un modeste village des Deux-Sèvres. Logé à la ferme, bientôt pourvu d’une mob propice à ses investigations, s’alimentant au Café-Épicerie-Pêche et puisant le savoir local auprès de l’aimable maire – également fossoyeur –, le nouveau venu entame un journal de terrain, consigne petits faits vrais et mœurs autochtones, bien décidé à circonscrire et quintessencier la ruralité.

Mais il ignore quelques fantaisies de ce lieu où la Mort mène la danse. Quand elle saisit quelqu’un, c’est pour aussitôt le précipiter dans la Roue du Temps, le recycler en animal aussi bien qu’en humain, lui octroyer un destin immédiat ou dans une époque antérieure – comme pour mieux ressusciter cette France profonde dont Mathias Enard excelle à labourer le terreau local et régional, à en fouiller les strates historiques, sans jamais perdre de vue le petit cercle de villageois qui entourent l’ethnologue et dessinent (peut-être) l’heureuse néoruralité de nos lendemains.

Mais déjà le Maire s’active à préparer le Banquet annuel de sa confrérie – gargantuesque ripaille de trois jours durant lesquels la Mort fait trêve pour que se régalent sans scrupule les fossoyeurs – et les lecteurs – dans une fabuleuse opulence de nourriture, de libations et de langage. Car les saveurs de la langue, sa rémanence et sa métamorphose, sont l’épicentre de ce remuement des siècles et de ce roman hors normes, aussi empli de truculence qu’il est épris de culture populaire, riche de mémoire, fertile en fraternité.

https://www.lanouvellerepublique.fr/niort/mathias-enard-j-etais-tellement-bien-dans-ce-roman 

LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE

Aharon Appelfeld, Mon père et ma mère, traduit de l’hébreu par Valérie Zénatti, Éditions de L’Olivier, octobre 2020, 304 p., 22 €

C’est l’été 1938 en Europe centrale. Et comme chaque année ils sont là, sur la rive, en villégiature.

Il y a Rosa Klein, qui lit dans les lignes de la main. 
Mais peut-on se fier à ses prédictions ? Et Karl Koenig, l’écrivain. Pourquoi fréquente-t-il les autres vacanciers au lieu de consacrer toute son énergie au roman qu’il est en train d’écrire ? Qui sont vraiment « l’homme à la jambe coupée » 
et la jeune femme amoureuse que tous les Juifs appellent par l’initiale de 
son prénom ? Et le père et la mère d’Erwin, l’enfant si sensible à l’anxiété de ceux qui l’entourent ?

Dans ce roman magistral publié quelques années avant sa mort, Aharon Appelfeld tisse les questions intimes, littéraires et métaphysiques qui l’ont accompagné toute sa vie. Sous sa plume, ces dernières vacances avant la guerre sont le moment où l’humanité se dévoile dans ses nuances les plus infimes, à l’approche de la catastrophe que tous redoutent sans parvenir à l’envisager.

« D’une sensibilité incommensurable, ce roman retourne la terre du paradis perdu où s’enracinèrent la confiance et la sagesse qui allaient porter l’auteur le restant de son existence. » Télérama, 22 septembre 2020

Giosuè Calasciura, Le Tram de noël, traduit de l’italien par Lise Chapuis, Les Éditions Noir sur Blanc, octobre 2020, 112 p., 16 €

Un tramway quitte la ville, dans l’obscurité de la nuit de Noël, pour s’enfoncer dans les périphéries. À chaque arrêt, des précaires de la vie montent à bord. Avec leur lot de misère, de tristesse et de déception, ils se dirigent, silencieux, vers un réveillon où la magie de Noël n’opère plus. Pourtant, dans cette nuit, le cri d’un nouveau-né, abandonné à l’arrière, va tresser un lien magique entre ces voyageurs, et éveiller quelque chose en eux…

Après l’inoubliable Borgo Vecchio, Giosuè Calaciura offre une nouvelle fois une voix à ceux auxquels on ne donne jamais la parole. Ce conte de Noël, véritable hommage à Dickens, nous rend l’urgence, la profondeur et les contradictions de notre temps.

POCHE

 

George Saunders, Lincoln au Bardo, traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Demarty, Le Livre de Poche, octobre 2020, 480 p., 8.40 €

Washington, le 25 février 1862. Dans le cimetière de Oak Hill, près de la Maison-Blanche, quelque chose se prépare. Ce jour-là, on y a enterré un enfant prénommé Willie, qui n’est autre que le fils du président des 
États-Unis. En pleine nuit, Abraham Lincoln, dévasté de chagrin, vient se recueillir en secret sur sa sépulture. 
Il croit être seul. Mais voici que des voix se font entendre et que jaillissent des caveaux des âmes errantes, prises au piège 
entre deux mondes, dans une sorte de lieu intermédiaire (le bardo de la tradition tibétaine).

Magistral chef d’orchestre de ce chœur d’ombres, George Saunders s’amuse à dynamiter tous les registres romanesques pour mieux nous confronter aux plus profonds mystères de notre existence : comment vivre, comment aimer, quand nous savons que tout est voué au néant ?

https://www.en-attendant-nadeau.fr/2019/01/29/fils-lincoln-limbes-saunders/


Didier Fassin, Punir, Une passion contemporaine, suivi de A l’épreuve de la pandémie, Points, octobre 2020, 208 p., 7.80 €

 Au cours des dernières décennies, la plupart des sociétés se sont faites plus répressives, leurs lois plus sévères, leurs juges plus inflexibles, et ceci sans lien direct avec l’évolution de la délinquance et de la criminalité. Dans ce livre, qui met en œuvre une approche à la fois généalogique et ethnographique, Didier Fassin s’efforce de saisir les enjeux de ce moment punitif en repartant des fondements
mêmes du châtiment.

Qu’est-ce que punir ? Pourquoi punit-on ? Qui punit-on ? À travers ces trois questions, il engage un dialogue critique avec la philosophie morale et la théorie juridique. Puisant ses illustrations dans des contextes historiques et nationaux variés, il montre notamment que la réponse au crime n’a pas toujours été associée à l’infliction d’une souffrance, que le châtiment ne procède pas seulement des logiques rationnelles servant à le légitimer et que l’alourdissement des peines a souvent pour résultat de les différencier socialement, et donc d’accroître les inégalités.
À rebours du populisme pénal triomphant, cette enquête propose une salutaire révision des présupposés qui nourrissent la passion de punir et invite à repenser la place du châtiment dans le monde contemporain.

https://www.franceculture.fr/emissions/deux-minutes-papillon/punir-une-passion-contemporaine-de-didier-fassin

HISTOIRE

Joseph Czapski, Terre inhumaine, traduit du polonais par Maria Adela Bohomolec, Les Éditions Noir sur Blanc, octobre 2020, 448 p., 23 €
 [Réédition L’âge d’homme, 1978 (traduction revue et corrigée)]

En 1941, lorsque l’Allemagne se retourna contre l’URSS, des dizaines de milliers de Polonais – hommes, femmes et enfants – furent libérés des camps de prisonniers soviétiques et autorisés à rejoindre l’armée polonaise formée dans le sud du pays. Le peintre et officier de réserve Joseph Czapski fut l’un des survivants de ce périple meurtrier. Le général Anders, commandant en chef de l’armée, assigna à Czapski la tâche d’accueillir les Polonais qui s’engageaient et d’enquêter sur la disparition de milliers d’officiers disparus. Bloqué à tous les échelons par les autorités soviétiques, Czapski ignorait qu’en avril 1940, les officiers avaient été abattus dans la forêt de Katyń. Le récit de Czapski sur les années qui ont suivi sa libération du camp, la formation de l’armée polonaise et son périple en Asie centrale et au Moyen-Orient pour combattre sur le front italien est un témoignage capital sur les souffrances des Polonais en URSS. L’auteur y mêle des portraits de ses compagnons, des réflexions philosophiques ainsi que le récit de ses rencontres avec de grandes figures littéraires, dont Anna Akhmatova.

http://www.fondation-janmichalski.com/exposition/jozef-czapski-peintre-et-ecrivain/

Pierre Singaravelou, Karim Miské, Marc Ball, Décolonisations, Le Seuil/Arte, octobre 2020, 232 p., 29.90 €

La décolonisation commence au premier jour de la colonisation. Dès l’arrivée des premiers Européens, 
les peuples d’Afrique et d’Asie se soulèvent. Personne n’accepte de gaîté de cœur d’être dominé. Mais pour recouvrer un jour la liberté, il faut d’abord rester vivant.

Face aux mitrailleuses des Européens, les colonisés reprennent la lutte sous d’autres formes : de la désobéissance civile à la révolution communiste, en passant par le football et la littérature. Un combat marqué par une infinie patience et une détermination sans limite.

Cette longue lutte constitue l’objet de ce livre qui, restituant le foisonnement des recherches universitaires, propose avant tout un nouveau récit entraînant. Une épopée inoubliable qui nous fait découvrir des héroïnes et des héros inconnus ou oubliés de cette histoire douloureuse : Manikarnika Tambe, la reine de Jhansi qui mena ses troupes à l’assaut des Britanniques en Inde, Mary Nyanjiru, l’insurgée de Nairobi, Lamine Senghor, le tirailleur sénégalais devenu militant anticolonialiste à Paris.

Au fil des pages, nous rencontrons des personnages plus familiers : l’Algérien Kateb Yacine, l’Indien Gandhi, les Vietnamiens Giap et Ho Chi Minh. Avec eux, un vent de résistance emporte le monde et aboutit à l’indépendance de presque toutes les colonies dans les années 1960. Mais à quel prix ? Dans l’Inde atomique d’Indira Gandhi, dans le Congo soumis à la dictature de Mobutu ou dans un Londres secoué par les émeutes des jeunes issus de l’immigration, cette histoire des décolonisations démontre à quel point il est crucial de la raconter aujourd’hui.

https://www.arte.tv/fr/videos/086124-001-A/decolonisations-1-3/

 

PHILOSOPHIE

André Gorz, Leur écologie et la nôtre, Anthologie d’écologie politique, Seuil, octobre 2020, 384 p., 22 €

Les crises climatique et écologique occupent désormais le devant de la scène, mais la profondeur des questionnements nécessaires, quant à nos façons de produire, de travailler, de consommer et de nous épanouir, manque souvent à ce brouhaha médiatique.
Cette anthologie, la première réunissant les principaux textes d’un des plus grands penseurs de l’écologie et du capitalisme tardif, décédé en 2007, comble ce vide.
Elle offrira des repères et des perspectives solides pour les tempêtes en cours : pensée de l’autonomie et de la liberté prolongeant l’existentialisme, lecture critique des derniers avatars du capitalisme et de sa crise écosystémique. Pour Gorz, loin des mesures gestionnaires et technocratiques, l’écologie est d’emblée politique, impliquant une critique radicale des formes de domination, tant par le travail que sur la nature ou via le consumérisme.

Textes rassemblés et présentés par Françoise Gollain et Willy Gianinazzi

https://www.telerama.fr/monde/sur-le-capitalisme-et-ses-degats-humains-et-ecologiques-andre-gorz-etait-visionnaire,148131.php

ART

Sabine Weiss, Marie Desplechin, Émotions, Éditions de la Martinière, octobre 2020, 256 p., 39 €

À 96 ans, Sabine Weiss, l’une des plus grandes femmes photographes françaises, dernière représentante du courant humaniste, présente 250 de ses plus beaux clichés.

https://www.youtube.com/watch?v=Ytp3n5Z-ptY

 

Jean-Claude Ellena, Karine Doering-Froger, Atlas 
de botanique parfumée
, Arthaud, octobre 2020, 168 p., 25 €

Pour les parfumeurs, les odeurs ont mille tendresses devant lesquelles ils sont à l’écoute. Autant de notes subtiles qu’ils prennent soin d’arranger, d’associer 
pour composer des récits olfactifs appelés parfums.
Lavande, vétiver, jasmin, cannelle… Plongé dans ces odeurs familières comme dans un souvenir ou un paysage, Jean-Claude Ellena étudie la diversité et la composition des odeurs grâce à un voyage poétique, géographique et botanique. Liée à l’histoire de l’exploration du monde, des terres nouvelles et de leur population, cette cartographie des senteurs variée et étonnante est magnifiquement 
illustrée par Karin Doering-Froger.

https://www.franceinter.fr/emissions/une-journee-particuliere/une-journee-particuliere-06-octobre-2019

ROMAN GRAPHIQUE

John Steinbeck, Rebecca Dautremer, Des Souris et des Hommes, Tishina, 420 p., 37 €

États-Unis, 1937 : John Steinbeck publie un court roman qui deviendra un chef-d’œuvre de la littérature, mondiale. Des Souris et des Hommes, c’est l’histoire de George et Lennie, deux saisonniers qui voyagent à travers la Californie, rêvant d’une vie meilleure. Une histoire magnifique, qui nous raconte l’amitié, l’espoir mais aussi la cruauté des hommes, et qui a profondément ému des millions de lecteurs.

France, 2020 : Rébecca Dautremer adapte ce grand classique dans un incroyable roman graphique. Pour cette deuxième collaboration avec les éditions Tishina, après Soie il y a quelques années, elle renouvelle brillamment son univers et sa palette, et pousse plus loin que jamais son talent. 
Un dialogue intense entre le texte intégral de Steinbeck et l’univers artistique de la plus célèbre des illustratrices françaises.

https://rebeccadautremer.com/illustrations

BANDE DESSINÉE

Gaspard D’Allens, Pierre Bonneau, Cécile Guillard, Cent mille ans, Bure ou le scandale enfoui des déchets nucléaires, La Revue Dessinée/Seuil, octobre 2020, 152 p., 18.90 €

C’est l’un de ces petits villages qui n’a jamais eu droit à sa carte postale. Et pourtant… L’endroit fait parler de lui jusqu’au sommet de l’État, la zone est quadrillée, ses 80 habitants surveillés. À Bure, 85 000 mètres cubes de déchets radioactifs doivent être enfouis à 500 mètres sous terre et y passer les cent mille ans à venir. Pour l’État français, l’enjeu est colossal : il en va de la survie de l’industrie nucléaire. De gré ou de force, ce projet titanesque doit aboutir.

Face à ce rouleau compresseur, la Meuse n’était pas censée résister. Les millions d’euros déversés sur le territoire devaient faire taire la contestation. En vain. À mesure que celle-ci s’intensifiait, Bure est devenu le théâtre d’une sidérante répression. Entre clientélisme et autoritarisme, le plus grand projet industriel d’Europe avance au mépris de la démocratie.

C’est ce que révèle l’enquête implacable des journalistes Pierre Bonneau et Gaspard d’Allens mise en scène par Cécile Guillard.

https://www.monde-diplomatique.fr/2018/01/BALDASSARRA/58245

Nicolas de Crécy, Visa Transit, tome 2, Gallimard, octobre 2020, 136 p., 22 €

A l’été 1986, quelques mois après l’accident nucléaire de Tchernobyl, Nicolas de Crécy et son cousin ont à peine 20 ans quand ils récupèrent une Citröen Visa moribonde. Ils remplissent la voiture de livres, qu’ils ne liront pas, ajoutent deux sacs de couchage, des cigarettes…et embarquent pour un voyage qui n’a pas de destination, mais doit les mener le plus loin possible. Ils traversent le nord de l’Italie, la Yougoslavie, la Bulgarie et descendent en Turquie, dans un périple qui les confrontent au monde autant qu’à eux-mêmes.

Après le tome 1, les souvenirs de Nicolas de Crécy arrivé sur les bords de la Mer Noire….

www.gallimard-bd.fr/feuilletage-J02180-visa_transit-5.html

https://www.franceinter.fr/livres/visa-transit-le-road-trip-oriental-de-jeunesse-de-nicolas-de-crecy

POÉSIE


Aurélien Barrau, Météorites, Michel Lafon, 10 €

« En français, « Météorite’ est féminin et masculin.
Hors genre donc, mais aussi souvent hors temps et parfois hors lieu.
Cette petite exploration poétique du fugace, du fragile et de l’instable ne veut rien dire. Elle dit, pourtant. 
En connivence avec les failles et les fissures.
Juste au seuil de l’idiome. »

https://www.liberation.fr/debats/2019/10/20/resistances-poetiques-par-aurelien-barrau_1758722

JEUNESSE 

Bertrand Santini, Laurent Gapaillard, 
Le Flocon, Gallimard, 56 p., 26.50 €

Pour la fête de la nouvelle année, le roi a organisé de somptueuses festivités. 
Tout le monde se presse pour lui offrir des cadeaux rivalisant de splendeur. 
Kepler, un jeune mathématicien, se présente à minuit avec un flocon de neige.

 
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