Sélection du Banquet à la librairie Le nom de l’homme

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COMME UN AVANT-GOÛT DES RENDEZ-VOUS DU BANQUET DU LIVRE D’ÉTÉ

Quelques ponts entre les sujets dans les méandres littéraires et historiques du thème Toute lecture est un parcours  

LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE

Autour de la question de l’esclave

Nicolaj Frobenius, Je vous apprendrai la peur, traduit du norvégien par Vincent Fournier, Actes Sud, février 2011, 352 p., 21.90 €

“Ma mission est devenue claire pour moi dès que j’ai lu ta nouvelle Bérénice. Elle était écrite pour moi n’est-ce pas maître tu m’as envoyé un signe. Je vais leur montrer comment leur nouveau monde va finir. Je vous apprendrai la peur.” SAMUEL, deuxième lettre au maître.

Nicolaj Frobenius restitue l’univers fantastique d’Edgar Allan Poe à travers le prisme de sa relation avec le critique littéraire Rufus W. Griswold. Fasciné et peut-être même secrètement amoureux de Poe, le critique influent mènera le double jeu pervers de l’amitié et de la démolition systématique tout au long de sa vie.

Parallèlement, Samuel Reynolds, esclave en cavale et ami d’enfance de Poe, se croit investi d’une mission terrifiante.

Le célèbre mythe selon lequel Edgar Allan Poe serait mort avec le nom de Reynolds sur les lèvres trouve ici une effroyable origine…

Dénouant les liens ambigus qui unissent ces trois destins, l’auteur du Valet de Sade signe son grand retour avec une intrigue passionnante, entre biographie romanesque et thriller psychologique.

Le blog de Claude LE NOCHER

 

Autour de la jeunesse

Juan José Saer, Glose, traduit de l’espagnol (Argentine) par Laure Bataillon, Le Tripode, juin 2019, 280 p., 11 €

Glose, l’un des plus grands romans du célèbre écrivain argentin Juan José Saer, est un classique de la littérature mondiale. 

« Un matin de printemps, deux amis, L’Adolescent et le Mathématicien marchent dans la rue ; le premier raconte au second une soirée d’anniversaire, à laquelle aucun des deux n’a assisté, mais dont le récit lui a été fait par un invité rencontré la veille. Au cours de la promenade, ils croisent une autre connaissance, Le Journaliste, qui donne sa propre version des faits.
De ce prétexte extrêmement simple, l’Argentin Juan José Saer tire (1937-2005) la plus fascinante des narrations. Et une mise en doute généralisée de tout ce que nous croyons vivre et percevoir. Expérience unique : le lecteur voit le roman s’inventer librement sous ses yeux, comme s’il l’écrivait lui-même. Il voit la conscience des personnages hésiter et leur mémoire se leurrer, comme s’il s’agissait des siennes, tandis que s’accumulent, touche après touche, non-dits, angoisses et illusions mises à mal. Ce roman inclassable, formidablement construit, m’en a davantage appris sur ce que nous sommes que vingt volumes de philosophie.
C’est un livre que j’essaye de faire lire à tout le monde. Tous ceux qui ont suivi mon conseil sont sortis de cette lecture aussi euphoriques que moi. Et incrédules : comment expliquer que Glose, ce roman parfait […] ne soit pas déjà un classique ? »

C’est tout un monde, dans son incertitude et son chaos, qui se déploie au cours de cette promenade. Un monde aussi fou que celui où nous vivons.
Stéphanie Dupays – Le Monde

POCHE

A l’origine du film Nous, d’Alice Diop

François Maspero, Anaïk Frank (photographies), Les Passagers du Roissy-express, Points, janvier 2004, 352 p., 7.60 €

Un jour de printemps, au temps des cerises, François et Anaïk partent de Roissy, tête de la ligne B du RER, pour une croisière au long cours. Direction la station terminus, Saint-Rémy-lès-Chevreuse. 38 gares, 50 kilomètres de rails. Ils logeront sur place. Elle prendra des photos. Il écrira.

Donner une épaisseur à des images, des couleurs, des voix, des êtres, au-delà du chaos apparent des banlieues, déchiffrer cette géographie, retrouver l’histoire et lire le présent de ceux qui l’habitent, tel est leur projet.

Cités et grands ensembles, zones pavillonnaires, friches industrielles, jardins ouvriers, stades, tags, un passé de deux mille ans et quel avenir ? Un voyage comme doit être tout voyage : simplement, à la rencontre de la vie.

Alice Diop à propos de Nous

 

Yannick Haenel en propose une relecture

László Krasznahorkai, Guerre & Guerre, traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly, Actes Sud, octobre 2015, 352 p., 8.80 €

Ce roman magistral publié en 1999 mêle plusieurs strates narratives et temporelles pour entrelacer l’itinéraire de Korim, archiviste hongrois en proie à une radicale crise spirituelle confinant à une forme de folie, et le contenu d’un mystérieux manuscrit dont il cherche obsessionnellement à délivrer le message. Une puissante œuvre labyrinthique empreinte d’un inconsolable chagrin métaphysique.

https://actualitte.com/article/13533/chroniques/guerre-et-guerre-voix-sans-issue

 

Yannick Haenel, Tiens ferme ta couronne, Gallimard, février 2019, 368 p., 8.10 €

« En gros, le bilan n’était pas fameux : j’avais quarante-neuf ans, je vivais reclus dans un studio de vingt mètres carrés et passais mes journées à regarder des films en buvant de l’alcool. Bien sûr, je me consacrais à une tâche qui me semblait essentielle, quasi sacrée, ce genre d’activité qui nécessite qu’on vive sans se soucier de la réussite sociale ; mais même avec beaucoup d’indulgence, rien ne distinguait cet héroïsme de la vie pathétique du looser. »

Jean a écrit un énorme scénario sur la vie de Melville, que seul Michael Cimino, le réalisateur maudit de Voyage au bout de l’enfer, pourrait réaliser. Tout en cherchant à le rencontrer, Jean se lance dans une quête hallucinée : celle de la vérité qui scintillerait entre cinéma et littérature. S’ensuit une série d’aventures aussi cocasses que flamboyantes entre Paris, New York, Colmar et un lac en Italie.

« Écrit sur le fil du rasoir, dans une tension permanente, ce livre profond et halluciné est un feu d’artifice.» Frédéric Pagès, Le Canard Enchaîné

 

Autour de la discussion entre Simon Johannin et Zineb Dryef

Zineb Dryef, Mathieu Deslandes, Soir de fête, Le Livre de Poche, février 2021, 240 p., 7.40 €

Automne 2017. Mathieu Deslandes apprend que son grand-père serait né d’un viol. L’affaire Weinstein vient d’éclater et la compagne de Mathieu, Zineb Dryef, travaille sur la « zone grise » entre consentement et agression sexuelle. Leur dialogue le conduit à enquêter sur ce secret de famille, tu pendant presque un siècle. Que s’est-il vraiment passé ce soir de fête d’août 1922 à Sougy, au cœur de la Beauce ? Dans les mois qui suivent, le village compte quatre jeunes filles enceintes hors mariage… Mathieu retourne sur place, interroge, remue souvenirs et archives, tente de reconstituer le puzzle.

Ce livre, lumineux malgré la dureté du propos, libère la parole de femmes du passé.
Adeline Fleury, Le Parisien week-end.

Soir de fête explore la notion de consentement et le poids du silence. Il met en lumière un siècle de culture du viol.
Léonard Billot, Les Inrockuptibles.

 

Mélanie Traversier et Patrick Boucheron re(lisent) La Divine Comédie. En voici la dernière traduction.

Dante Alighieri, La Divine Comédie, traduit de l’italien, préfacé et annoté par Danièle Robert, Actes Sud, mars 2021, 228 p., 13.50 €

De la descente dans les profondeurs de la terre – au milieu des cris et des corps soumis aux pires tortures – jusqu’à la contemplation de “l’Amour qui meut le Soleil et les étoiles” en passant par l’expérience de la métamorphose à laquelle le poète nous convie, La Divine Comédie sonde l’âme humaine dans les aspects les plus divers de ses questionnements. Et par la puissance du langage, par la magie des images tantôt terribles tantôt lumineuses qui scandent le récit, elle nous rappelle à quel point l’art est au centre de toute vie.

La traduction neuve de Danièle Robert – à qui l’on doit également des versions de référence des grands textes d’Ovide, de Catulle, et de la poésie de Paul Auster – s’attache à respecter dans notre langue l’intégralité de la structure élaborée par Dante. Au cœur de celle-ci : la terza rima, qui constitue, avec la terzina, un véritable moteur pour le poème selon une rythmique créatrice de sens.

Animée d’un souffle constant, ne se départant jamais du souci de fidélité au texte, cette traduction unanimement saluée permet d’aller plus avant dans la découverte de la beauté inventive, de la puissance, de la modernité du chef-d’œuvre universel qu’est La Divine Comédie.

https://www.en-attendant-nadeau.fr/2016/09/27/traduire-dante/

 

POÉSIE 

Simon Johannin, Nous sommes maintenant nos êtres chers, Allia, octobre 2020, 96 p., 9 €

« Les grands moments sont rares
Dans les ruelles confuses
Mais certains
Sur le rebord du risque
Chuchotent aux crans qui s’ouvrent
Le long de la cambrure »

Simon Johannin renoue dans ses poèmes avec l’univers de ses romans. Alors que les vers courent librement, souvent délestés de leur ponctuation, des émotions intenses traversent la nuit comme des étoiles filantes.
Des voyous pas méchants, des jeunes gens pas prêts quoique robustes, se chamaillent pour trouver une place au soleil : « Des nouilles instantanées dans des bacs en plastique / Tous les jours / Un euro cinquante, c’était cher / Il allait plus loin, à meilleur prix ». La précarité guette le porte-monnaie et les sentiments avec la même férocité. Les bastons taillent les visages, forgent les caractères. Pourtant, devant le vertige du quotidien, les belles âmes qui peuplent ces poèmes tâchent de ne pas tomber dans les écueils du ressentiment, et s’acharnent à trouver du sens et du plaisir là-dedans. Et l’amour parfois existe, se présente avec fulgurance. Le désir de vivre finit par l’emporter sur la résignation. Loin des clichés romantiques, le style visuel de Simon Johannin fait surgir par flashes des visions de corps furieux et sensuels, qui s’imbibent de substances avant de s’écraser avec fracas contre le macadam.
Nous sommes maintenant nos êtres chers 
pose un regard lucide et sensible sur une époque sinistrée où la passion jaillit malgré tout avec éclat.

https://maze.fr/2020/10/nous-sommes-maintenant-nos-etres-chers-de-simon-johannin-portrait-de-lartiste-au-pluriel/

Simon et Capucine Johannin lisent des textes inédits et des œuvres aux formes particulières, hors des livres le 9 août à 21h30

ESSAIS

Paul de Tarse, figure du séminaire de René Lévy 

Pier Paolo Pasolini, Saint-Paul, traduit de l’italien par Giovanni Joppolo, Nous, mars 2013, 196 p., 18 €

L’idée poétique — fil conducteur et composant principal de la nouveauté de ce film — consiste à transposer tout le parcours de saint Paul dans le contexte contemporain.

Pourquoi ai-je l’intention de transcrire ce parcours terrestre dans notre durée présente ? Tout simplement pour rendre, cinématographiquement, de la façon la plus directe et violente, l’impression, la conviction de son actualité. En définitive, pour dire au spectateur, d’une manière explicite, sans même l’obliger à réfléchir, que « saint Paul est ici, aujourd’hui, parmi nous », et qu’il l’est presque physiquement, matériellement : que c’est à notre société qu’il s’adresse, que c’est sur notre société qu’il pleure, que c’est notre société qu’il aime, menace et pardonne, agresse et embrasse tendrement.

Aucun désert ne sera jamais plus désert qu’une maison, une place, une rue où vivent les hommes mille neuf cent soixante-dix ans après Jésus-Christ. Ici, c’est la solitude. Coude à coude avec ton voisin qui s’habille dans les mêmes grands magasins que toi, fréquente les mêmes boutiques que toi, lit les mêmes journaux que toi, regarde la même télévision que toi, c’est le silence. Il n’y a pas d’autre métaphore du désert que la vie quotidienne.

https://catalogue.bpi.fr/fr/cinema/document/ark:/34201/nptfl0001142348

 

Autour de la conversation entre Jeanne Favret-Saada et Arnaud Esquerre 

Arnaud Esquerre, Le vertige des faits alternatifs, Textuel, août 2018, 160 p., 17 €

Qu’est devenue la vérité ?

Fake news et faits alternatifs remettent en cause aujourd’hui la notion de vérité. Ceux qui les lancent sapent le fonctionnement des États démocratiques.
Arnaud Esquerre interroge les enjeux de cette situation inédite et inquiétante qui concerne autant l’évolution de la politique, des médias que de la connaissance scientifique et jusqu’à notre vie quotidienne. Il montre l’importance des récits et des effets de langage : ce n’est pas parce qu’un énoncé est faux qu’il n’est pas efficace. Pour comprendre une telle efficacité, Esquerre propose d’analyser les structures et les fonctions de ces énoncés, qu’il s’agisse d’accusations de complots ou de manipulation mentale, de prédictions de fin du monde ou astrologiques, de récits de phénomènes aériens non-identifiés ou de fake news.
Il défend les idées, si menacées, de vérité et de démocratie.

https://www.lepoint.fr/societe/les-raisons-du-succes-des-fake-news-29-09-2018-2258865_23.php

  

Jeanne Favret-Saada, Josée Contreras, Le christianisme et ses juifs (1800-2000), Le Seuil, mai 2004, 504 p., 27.40 €

Ce livre entrecroise deux histoires. L’une, locale, minuscule, se focalise sur un village de la Bavière catholique. Oberammergau, où chaque décennie depuis 1634 les habitants jouent un Mystère de la Passion du Christ. Au fil des XIXe et XXe siècles, ce spectacle religieux draine des publics énormes, de toutes confessions, de toutes conditions sociales et provenances (notamment l’Europe et les États-Unis), devenant ainsi le drame sacré le plus fréquenté du monde.

L’autre histoire se déploie sur la scène européenne puis euro-américaine et concerne les relations des Églises chrétiennes avec les juifs – comment elles les ont perçus, pensés et traités au cours du lent processus de leur émancipation politique (1771-1871). La culture antijuive du christianisme et plus particulièrement du catholicisme, y apparaît sous ses divers aspects : théologique, politique, social et esthétique. Autant de questions absentes des histoires générales du christianisme comme de celles de l’antisémitisme.

En point d’orgue, la destruction des juifs d’Europe par le nazisme et le problème de la part de responsabilité des Églises dans cette catastrophe. Sans doute n’ont-elles pas voulu l’extermination, mais elles ont contribué, avec beaucoup d’autres acteurs sociaux, à la laisser s’accomplir. Les institutions religieuses ne l’ont pas dénoncée. Des chrétiens ordinaires ont participé au meurtre de masse ou à ses préalables – privations de droits, ghettoïsation, spoliation, déportations. D’autres chrétiens en sont restés les témoins muets, voire approbateurs.

Dès 1900, le drame sacré d’Oberammergau a commencé à être accusé d’antisémitisme. Après Auschwitz, ces accusations prennent une tout autre gravité. Les organisations juives internationales se mobilisent, soutenues par ceux des chrétiens qui souhaitent rompre avec le passé antijuif de leur religion. On suivra pas à pas, de Vatican II à l’an 2000, les mutations de l’Église catholique dans ses relations avec le judaïsme: une révolution théologique et un repentir sincère, mais sans la moindre assomption de son histoire vis-à-vis des juifs. Les Oberammergauer profiteront de ces ambiguïtés pour maintenir vaille que vaille l’esprit antijuif de leur Passion, au nom de la tradition.

Portrait de Jeanne Favret-Saada dans Le Monde

 

Autour de Bibia Pavard et Florence Rochefort

Hélène Merlin-Kajman, La Littérature à l’heure de #MeToo, Ithaque, octobre 2020, 160 p., 18 €

La littérature se tient-elle au-delà du bien et du mal ? La modernité le proclame depuis les procès de Madame Bovary et des Fleurs du mal. Aujourd’hui, ce droit à la transgression est remis en question au nom de nouvelles valeurs : respect des sensibilités, militantisme culturel, assignation de toute fiction à une expérience vécue.

L’effet du mouvement #MeToo sur la manière dont on lit les œuvres est à cet égard exemplaire. En 2017, des agrégatifs se demandèrent comment lire et enseigner une pastorale du XVIIIe siècle mettant en scène un viol présumé : ce fut l’affaire Chénier. En 2020, l’affaire Matzneff soulevait la question de la valeur littéraire d’actes sexuels pénalement répréhensibles. Aux États-Unis, l’exigence du trigger warning enjoint les universitaires de signaler à leurs publics les textes au programme dont le contenu pourrait raviver chez eux d’éventuels traumatismes.

La Littérature à l’heure de #MeToo explore la complexité des justifications engagées dans ce nouveau régime du jugement esthétique. Loin de le défendre pour son « progressisme » ou de le condamner pour sa bienséance
« politiquement correcte », comme y encourage la polarisation idéologique des débats, il s’agit ici de plaider que la littérature n’agit pas à la lettre et que ce jeu de la lecture nous libère et nous lie.

https://lundi.am/La-litterature-a-l-heure-de-metoo-Helene-Merlin-Kajman

 

Laure Murat, Une révolution sexuelle ? L’après Weinstein, Réflexions sur l’après-Weinstein, Stock, septembre 2018, 176 p., 17.50 €

« Écrire sur l’après-Weinstein, du point de vue américain et français. Analyser
deux cultures, cousines et à bien des égards incompatibles. Préférer l’histoire longue, des origines lointaines aux perspectives d’avenir, à l’histoire courte et pagailleuse livrée par les médias. Essayer de comprendre ce qui constitue un événement historique et ses enjeux. Revenir sur les polémiques autour de la liberté d’expression, de la morale et de l’art, en particulier dans le cinéma. C’est la grande ambition de ce petit livre.
Je mesure les risques d’écrire un livre d’intervention en pleine actualité. Je les assume parce que je crois que contribuer à la conversation démocratique vaut mieux que de rester dans son coin. »

« Quand je dis, de manière peut-être un peu grandiloquente, que le mouvement #metoo est la première remise en cause sérieuse du patriarcat, cela tient au fait qu’il vient de la base. Pour entretenir le débat, il faut désormais que les philosophes, les sociologues, les artistes s’en saisissent. Sérieusement. » Extrait de l’entretien de Laure Murat dans le journal Le Monde, 5 octobre 2018

 

Peter Szendy et Paul Valéry

Paul Valéry, Mon Faust, Gallimard, 1988, 192 p., 6.90 €

« Le personnage de Faust et celui de son affreux compère ont droit à toutes les réincarnations.
(…) Or, un certain jour de 1940, je me suis surpris me parlant à deux voix et me suis laissé aller à écrire ce qui venait. J’ai donc ébauché très vivement, et – je l’avoue – sans plan, sans souci d’actions ni de dimensions, les actes que voici de deux pièces très différentes, si ce sont là des pièces. Dans une arrière-pensée, je me trouvais vaguement le dessein d’un IIIeFaust qui pourrait comprendre un nombre indéterminé d’ouvrages plus ou moins faits pour le théâtre : drames, comédies, tragédies, féeries selon l’occasion : vers ou prose, selon l’humeur, productions parallèles, indépendantes, mais qui, je le savais, n’existeraient jamais… Mais c’est ainsi que de scène en scène, d’acte en acte, se sont composés ces trois quarts de Lustet ces deux tiers du Solitairequi sont réunis dans ce volume. »

« Il me plait, dans  » Mon Faust  » (Éditions de la N.R.F.), qui, en vérité, serait mieux commenté par un philosophe que par un critique dramatique, de voir s’accuser les rapports de Valéry et de Goethe. Mallarmé, Edgar Poe, Vinci, Descartes furent ses premiers inspirateurs. Il me parait avoir connu Goethe en dernier. Mais ce fut son grand miroir. Ses quelques ressemblances avec Lucrèce nous frappent plus qu’ils ne le frappèrent lui-même. Qu’il se soit, à près de soixante-dix ans, reconnu chez le  » docteur  » de la Connaissance, ce Faust qui, lui non plus, ne consentait pas à vieillir, c’était une fatalité dont le retard seul étonne. » Le Monde, 1946

Autour des bibliothèques et de la littérature 

Laure Murat, Relire, enquête sur une passion littéraire, Flammarion, septembre 2015, 304 p., 19 €

« Si l’on ne peut trouver de jouissance à lire et à relire un livre, il n’est d’aucune utilité de le lire ne serait-ce qu’une seule fois », déclarait Oscar Wilde, qui faisait de la relecture « le critère élémentaire de ce qui est ou n’est pas de la littérature ». Mais que nous apprend au juste une deuxième lecture que la première n’avait pas révélé ? Pour quelle raison les enfants veulent-ils entendre chaque soir la même histoire ? Au fond, pourquoi relit-on ? Voici une singulière enquête sur une passion littéraire aussi dévorante aujourd’hui qu’hier : la relecture. Elle se fonde sur des dizaines d’entretiens avec nos grands auteurs contemporains, de Christine Angot à Jean Echenoz, d’Annie Ernaux à Patrick Chamoiseau. Leurs réponses convoquent les différentes facettes d’une expérience intime et le plus souvent secrète. Décrivant avec délicatesse le pouvoir des lectures-fétiches de l’enfance ou celui de l’érotisme de la répétition, ce livre unique en son genre est un hommage brûlant à la littérature et à ceux qui l’écrivent.

https://www.franceculture.fr/emissions/hors-champs/relire-15-laure-murat

 

William Marx, Vivre dans la bibliothèque du monde, Fayard, octobre 2020, 80 p., 12 €

 

William Marx invite à entrouvrir la porte de cette bibliothèque mondiale et à en parcourir quelques rayonnages afin de faire de nous des lecteurs sans limite, capables de lire par-delà la littérature, en nous dégageant de notre propre historicité. 

« Notre amour historiquement situé de la littérature nous impose paradoxalement, comme premier devoir, de nous arracher à l’historicité de cette même littérature. C’est au nom de la littérature que nous devons nous détacher de celle-ci. Voilà pourquoi il nous faut d’un seul mouvement construire et explorer la bibliothèque mondiale ou totale – et je dis bien bibliothèque mondiale, et non pas littérature mondiale. On lit la littérature mondiale, mais on lit dansla bibliothèque mondiale, on vitdans la bibliothèque du monde : deux attitudes radicalement différentes.  »

Ancien élève de l’École normale supérieure et agrégé de lettres classiques, William Marx est philologue, historien et critique de la littérature. Il a été professeur de littérature comparée à l’université Paris Nanterre. Ses derniers ouvrages parus sont La Haine de la littératureet Un savoir gai(Minuit, 2015 et 2018). Depuis octobre 2019, il est professeur au Collège de France, titulaire de la chaire Littératures comparées.

https://www.franceculture.fr/emissions/les-cours-du-college-de-france/vivre-dans-la-bibliotheque-du-monde-lecon-inaugurale-de-william-marx-0

 

NATURE ET JARDINS

L’envers des jardins, autour du travail d’Estelle Chauvard, Adrien Genoudet et Louise Piélat

Alphonse Karr, Voyage autour de mon jardin, Riveneuve, mars 2021, 448 p., 11.50 €

Le départ d’un ami pour un lointain voyage est l’occasion, pour celui qui reste, de s’engager dans la rédaction d’une longue correspondance, exaltant les aventures et les émerveillements du voyage immobile, ou presque. Juste en bas de chez soi : dans son jardin dont on sait, depuis Voltaire, qu’il faut le cultiver pour gagner en sagesse et en paix. Description de l’infiniment petit comme la vie minuscule des insectes comme de l’infiniment grand comme les ciels et les saisons, réflexions sur la nature des choses comme sur celle des hommes, l’ouvrage est à la fois une ode à l’écologie, à la culture en sciences naturelles et à la pleine conscience sociale et politique. Avec l’humour du moraliste.

Qu’on en juge : « Le seul soin sérieux qui paraisse occuper la vie des pucerons, est de changer de vêtement. Ils changent, en effet, de peau quatre fois avant d’être des pucerons parfaits ; à peu près comme nous autres hommes nous essayons d’habitude deux ou trois caractères avant de nous fixer à un, quoique d’ordinaire on en garde trois toute sa vie : un que l’on montre, un que l’on croit avoir, un que l’on a réellement. »

https://www.humanite.fr/alphonse-karr-une-nature-qui-rassemble-711300

 

Adrien Genoudet, L’Effervescence des images, Albert Kahn et la disparition du monde, Les Impressions nouvelles, novembre 2020, 344 p., 28 €

En 1908, Albert Kahn, un riche banquier parisien, embarque à bord du transatlantique « Amerika », direction New York et commence un tour du monde de plusieurs mois. Il veut voir les pays, les peuples, il veut gorger son regard pour comprendre ce qui, en lui, s’affiche comme une évidence : le monde connu est au bord de l’implosion, d’un changement radical – d’une disparition prochaine. 

Lorsqu’il revient de son voyage en 1909, il amorce un projet démesuré, unique : les « Archives de la Planète». L’idée, somme toute, est simple : confier à des photographes et à des cinéastes le soin de prendre des images, beaucoup d’images, des milliers d’images, pour créer des archives volontaires, pour sauver ce qui peut l’être encore, avant extinction définitive. Le but d’Albert Kahn est « de fixer, une fois pour toutes, des aspects, des pratiques et des modes de l’activité humaine dont la disparition fatale n’est plus qu’une question de temps ». Lorsque ces opérateurs reviennent de leurs missions, ils sont priés d’inventorier leurs prises de vue, de les développer, de les trier, puis de les ranger afin de constituer un des fonds d’archives d’images les plus complets du monde. L’aventure va durer un peu plus de vingt ans, de 1908 à 1931 et le projet restera inachevé en raison de la ruine financière d’Albert Kahn.

Ces images nous sont parvenues et nous pouvons aujourd’hui les regarder. Elles nous parlent, car Albert Kahn a cherché à ce qu’elles nousparviennent. Mais l’histoire des Archives de la Planèteet de leurs devenirs est une aventure au long cours, un chemin périlleux où les images se perdent et se brisent. Pour voir ces images au présent, encore faut-il saisir leur effervescence, comprendre le temps qui les traverse. En s’intéressant à l’histoire des Archives de la Planèteet à celle, dissimulée, parfois obscure, d’Albert Kahn, L’Effervescence des imagesest une traversée dans ce projet hors normes qui, plus que jamais, interpelle notre présent et notre avenir.

https://www.franceculture.fr/emissions/toute-une-vie/albert-kahn-1860-1940-rever-dun-monde-nouveau

 

Aby Warburg, L’Atlas mnémosyne, L’Écarquillé, décembre 2019, 288 p., 18 €

Si Aby Warburg a été le premier à définir une méthode d’interprétation iconologique, s’il a créé une bibliothèque des sciences de la culture unique au monde, l’innovation décisive qu’il a introduite dans le champ épistémologique de l’histoire de l’art est bien Mnémosyne: œuvre absolument originale et unique, dont l’ambition n’est rien moins que de poser les fondements d’une grammaire figurative générale, et qui ouvre des perspectives dont la portée n’a pas encore été totalement mesurée. Par la complexité des problèmes auxquels s’est confronté Warburg face à cet immense corpus d’images, c’est l’attention de l’ensemble des sciences humaines qu’il a attirée sur son œuvre.
Resté inachevé à la mort de l’auteur, ayant mobilisé l’énergie intellectuelle et physique de ses dernières années, Mnémosyne peut être considéré comme l’aboutissement de toutes ses recherches. Il constitue le plus ambitieux corpus d’images jamais réuni, dont la genèse et l’évolution sont liées à une pratique discursive et à un mode de transmission du savoir que préconisait Warburg, mais qu’il convient aussi d’examiner sous l’angle de ses relations avec le problème de la mémoire et avec sa bibliothèque. L’essai de Roland Recht se propose de replacer ce work in progress dans son contexte intellectuel.

http://ndlr.eu/atlas-mnemosyne/ 

 

HISTOIRE

 

Autour de Léonora Miano et son livre Afropea, Grasset

Camille Lefebvre, Des Pays au crépuscule, Le moment de l’occupation coloniale (Sahara-Sahel), Fayard, avril 2021, 352 p., 24 €

Camille Lefebvre nous immerge dans les premiers temps de la colonisation et redonne vie aux mondes qui s’enchevêtrent alors, pour nous aider à saisir comment s’est peu à peu construite la domination coloniale. 

Au début du XXe siècle, quatre-vingts militaires français accompagnés de six cents tirailleurs envahissent deux puissantes villes du Sahara et du Sahel. La France, comme plusieurs autres pays européens, considère alors les territoires africains comme des espaces à s’approprier. Elle se substitue par la force aux gouvernements existants, au nom d’une supériorité civilisationnelle fondée sur le racisme.
Depuis le cœur de ces deux villes, grâce à une documentation exceptionnelle, Camille Lefebvre examine comment s’est imposée la domination coloniale. Militaires français, tirailleurs, mais aussi les sultans et leur cour, les lettrés et les savants de la région, sans oublier l’immense masse de la population, de statut servile ou libre, hommes et femmes : tous reprennent vie, dans l’épaisseur et la complexité de leurs relations. Leur histoire révèle la profondeur des mondes sociaux en présence ; elle retisse les fils épars et fragmentés des mondes enchevêtrés par la colonisation.
Les sociétés dans lesquelles nous vivons, en France comme au Niger, sont en partie issues des rapports de domination qui se sont alors noués  ; s’intéresser à la complexité de ce moment nous donne des outils pour penser notre présent.

https://www.franceculture.fr/emissions/la-suite-dans-les-idees/la-suite-dans-les-idees-emission-du-samedi-12-juin-2021

 

Léonora Miano, Afropea, Utopie post-occidentale et post-raciste, Grasset, septembre 2020, 224 p., 18.50 €

 Léonora Miano n’est pas une Afropéenne (afro-européenne). Ceux qui se définissent ainsi ont grandi en Europe.
Marquée par l’Afrique subsaharienne, la sensibilité de l’auteur se distingue de celle des Afropéens. Ceux-ci se sont construits en situation de minorité. Ce qui détermine la perception de soi, complique l’identification et la solidarité entre Afropéens et Subsahariens.
La France identifie à l’Afrique tous ses citoyens d’ascendance subsaharienne, privilégiant les natifs de ce continent. Cela ne favorise pas l’ancrage des Afropéens dans leur pays, leur capacité à se sentir responsables de son destin.
Pourtant, ceux qui se sont donné un nom – Afropéens – dans lequel Afrique et Europe fusionnent, s’ils sont fidèles aux implications de cette association plus qu’à leur amertume, peuvent incarner un projet de société fraternel, anti-impérialiste et anti-raciste. Dans une France en proie aux crispations identitaires, la perspective afropéenne apparaît encore comme une utopie. De part et d’autre, la tentation du rejet est puissante.

https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/lutopie-africaine

 

Avec Alice Diop et Sylvain Prudhomme

Michel Leiris, L’Afrique fantôme, de Dakar à Djibouti, Gallimard, 1988, 658 p., 18.90 €

 En 1930, alors que, surréaliste dissident, il travaillait à la revue Documents, Michel Leiris fut invité par son collègue l’ethnographe Marcel Griaule à se joindre à l’équipe qu’il formait pour un voyage de près de deux ans à travers l’Afrique noire.
Écrivain, Michel Leiris était appelé non seulement à s’initier à la recherche ethnographique, mais à se faire l’historiographe de la mission, et le parti qu’il prit à cet égard fut, au lieu de sacrifier au pittoresque du classique récit de voyage, de tenir scrupuleusement un carnet de route. Mais, tour personnel donné à cette pratique, le carnet de Michel Leiris glissa vite vers le « journal intime », comme s’il était allé de soi que, s’il se borne à des notations extérieures et se tait sur ce qu’il est lui-même, l’observateur fausse le jeu en masquant un élément capital de la situation concrète. Au demeurant, celui pour qui ce voyage représentait une enthousiasmante diversion à une vie littéraire dont il s’accommodait mal n’avait-il pas à rendre compte d’une expérience cruciale : sa confrontation tant avec une science toute neuve pour lui qu’avec ce monde africain qu’il ne connaissait guère que par sa légende ?

https://www.franceculture.fr/emissions/carnet-nomade/lafrique-fantome

Paulin Ismard et l’esclavage

Paulin Ismard, La Cité et ses esclaves, Institutions, fictions, expériences, Seuil, octobre 2019, 384 p., 24.90 €

Ce livre vise tout d’abord à éclairer le lien étroit qui unit l’invention de la démocratie et l’esclavage en Grèce ancienne. En étudiant la façon dont est défini à Athènes l’homme-marchandise qu’est l’esclave, les formes d’organisation de son travail, ou encore le statut de sa parole dans l’espace judiciaire, il propose une analyse inédite du droit athénien de l’esclavage. Mais il entend surtout placer l’esclavage au cœur de nos réflexions sur l’expérience grecque, en éclairant la façon dont la cité des hommes libres est elle-même modelée par l’institution esclavagiste. L’imaginaire politique athénien, auquel nous associons l’expérience de l’autonomie politique, est en effet le produit de l’expérience esclavagiste. À travers l’esclavage, la cité pense et donne une forme à ses frontières, et c’est un certain rapport au corps, à l’écriture, ou à la notion même de représentation qui se trouve alors éclairé.
Mais le livre entend aussi interroger les relations souterraines qui nouent l’histoire de l’esclavage antique à notre présent. Si nous prétendons aujourd’hui, à tort et à raison, être les héritiers de l’Antiquité gréco-romaine, en quoi l’esclavage, qui fut la condition même de son développement, a-t-il contribué à écrire une part de notre histoire au point de persister jusque dans notre plus extrême modernité ? Explorant, sous la forme d’essais libres, le droit du travail, la cybernétique, ou les formes modernes de la représentation politique, mais aussi convoquant Hermann Melville ou Aimé Césaire, Paulin Ismard en arrive à la conclusion que la configuration athénienne est d’une certaine façon encore la nôtre.

Paulin Ismard est maître de conférences HDR en histoire grecque à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, membre de l’Institut universitaire de France. Il a notamment publié L’Événement Socrate (Flammarion, 2013, Prix du livre d’histoire du Sénat) et La Démocratie contre les experts. Les esclaves publics en Grèce ancienne (Seuil, 2015, Prix des Rendez-Vous de l’Histoire de Blois, Prix François Millepierres de l’Académie Française).

https://www.lemonde.fr/livres/article/2019/11/29/la-cite-et-ses-esclaves-de-paulin-ismard-la-chronique-histoire-de-roger-pol-droit_6020977_3260.html

  

Platon, Menon, Flammarion, 1991, 352 p., 8.50 €

« Comment devenir vertueux ?» Cette question, posée à Socrate par Ménon, jeune noble thessalien en visite à Athènes, se révèle ambiguë. Car la vertu, est-ce l’excellence du citoyen et le talent de l’homme politique ? Ou bien est-ce la vertu telle que l’entend Socrate, subordonnée au bien et soumise au plus strict exercice de la justice ? Mais les essais infructueux d’une définition de la vertu cèdent bientôt la place à une question plus générale : « Comment est-il possible de chercher et d’apprendre ?» Les réponses que Platon nous donne dans le Ménonseront reprises deux mille ans plus tard par Descartes et par Leibniz : « La vérité de ce que nous devrons jamais découvrir et connaître nous appartient depuis toujours. » C’est dans ce dialogue que, pour la première fois, l’idée d’une connaissance prénatale qui appartienne à l’âme indépendamment de tout apprentissage est exposée de façon systématique et argumentée. Dernière défense de Socrate que Platon ait écrite, le Ménonfait voir clairement ce qu’est le travail de la pensée, l’approche d’une vérité dont la présence est connue avec conviction, mais dont la forme est encore ignorée.

https://www.monde-diplomatique.fr/mav/131/POPELARD/54351

 

PHILOSOPHIE

 

René Lévy, La Mort à vif, essai sur Paul de Tarse, Verdier, mars 2020, 336 p., 22 €

Paul, ou Saül de Tarse, ou saint Paul ; par la puissance spéculative et la vigueur du verbe, le vrai fondateur du christianisme. Jeune, c’était un Hébreu, citoyen de Rome. À Jérusalem, il fut l’élève du plus grand des maîtres, Rabban Gamliel. Zélateur farouche, persécuteur des nazaréens, il connaissait la Loi juive (Torah), et l’observait scrupuleusement. Mais sa ferveur cachait mal une inquiétude grandissante ; la crise éclata sur la route de Damas, puis ce fut la révélation. Paul avait vingt-cinq ans. De persécuteur, il devint l’apôtre de l’Église le plus ardent. En une dizaine d’épîtres, il posa les fondements du christianisme.

Nourri de culture hébraïque, spécialement pharisienne, parlant grec, Paul livre un texte souvent obscur, presque étrange, comme si l’hébreu, par une pression souterraine, en défigurait le sol. Son discours sur la Loi (Torah), crucial et si moderne, en est un exemple, mais encore ses doctrines de la mort et de la résurrection, et de la grâce. Par nombre d’obscurités, Paul de Tarse est demeuré mal compris. Dans notre essai, nous avons voulu, par-delà des siècles de théologie et d’études néo-testamentaires, remonter à la source ; la source pharisienne, le Midrach et la Michna. Nous nous sommes gardés autant que possible des erreurs rétrospectives et nous nous sommes, pour ainsi dire, transportés jusqu’à lui sans bagages. Qu’avons-nous découvert ? Que la crise était grave et profonde, qu’elle était la crise de la conscience pharisienne ; et nous avons pris la mesure de la dissidence de Paul à l’égard de Moïse, de son puissant désir d’arrachement à la religion. Nous avons découvert combien l’enjeu messianique fut et demeure, non seulement au cœur de l’histoire occidentale, mais encore au cœur de tout véritable humanisme.

https://www.en-attendant-nadeau.fr/2020/08/05/saint-paul-saul-tarse/

Peters Szendy, Mathieu Potte-Bonneville, Laure Murat, les figures du pouvoir déboulonnées par la cancel culture 

Emmanuel Lévinas, Totalité et infini, essai sur l’extériorité, Le Livre de Poche, 1990, 352 p.,

« On conviendra aisément qu’il importe au plus haut point de savoir si l’on n’est pas dupe de la morale. La lucidité – ouverture de l’esprit sur le vrai – ne consiste-t-elle pas à entrevoir la possibilité permanente de la guerre ? L’état de guerre suspend la morale ; il dépouille les institutions et les obligations éternelles de leur éternité et, dès lors, annule, dans le provisoire, les inconditionnels impératifs. Il projette d’avance son ombre sur les actes des hommes. La guerre ne se range pas seulement – comme la plus grande – parmi les épreuves dont vit la morale. Elle la rend dérisoire. »

Texte décisif,Totalité et infini figure parmi les œuvres majeures de la philosophie du XXe siècle.

https://www.lemonde.fr/livres/article/2020/05/21/la-mort-a-vif-de-rene-levy-saint-paul-en-pharisien-radical_6040333_3260.html

  

Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Gallimard, 1964, 364 p., 13 €

«Du grand ouvrage dont rêvait Merleau-Ponty ne restent que cent cinquante pages manuscrites. Quelle est leur fonction : introduire. Il s’agit de diriger le lecteur vers un domaine que ses habitudes de pensée ne lui rendent pas immédiatement accessible. Il s’agit, notamment, de le persuader que les concepts fondamentaux de la philosophie moderne – par exemple, les distinctions du sujet et de l’objet, de l’essence et du fait, de l’être et du néant, les notions de conscience, d’image, de chose – dont il est fait constamment usage impliquent déjà une interprétation singulière du monde et ne peuvent prétendre à une dignité spéciale quand notre propos est justement de nous remettre en face de notre expérience, pour chercher en elle la naissance du sens.» Claude Lefort.

https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/loeil-de-merleau-ponty-55-le-visible-et-linvisible

 

Gisèle Sapiro, La responsabilité de l’écrivain, Littérature, droit et morale en France (XIX-XXIe siècle), Le Seuil, 752 p., 35.50 €

Un écrivain peut-il tout dire et, si non, quelles sont les limites que la société et l’époque lui assignent ? Un écrivaindoit-il tout dire et, si oui, les lois de la République des lettres lui font-elles obligation d’enfreindre celles du pouvoir et de la morale ?

Depuis le XVIIIe siècle, les discours sur les dangers de la lecture et l’influence subversive des hommes de lettres sur les esprits confortent la croyance dans les pouvoirs de l’écrit. Face à eux, tenants de l’art pour l’art et partisans de l’engagement des intellectuels se retrouvent autour de la défense d’une éthique propre à la littérature. Ces débats, hantés à l’origine par la mémoire des événements révolutionnaires et profondément redéfinis au moment de l’épuration par la « collaboration de plume », n’ont cessé depuis deux siècles d’animer les prétoires, le Parlement et les colonnes de presse.

Cet ouvrage en restitue toute l’importance, intellectuelle et politique, à travers l’étude de quatre moments-clés, qui marquent autant d’étapes dans l’histoire de la liberté d’expression et de la morale publique en France : la Restauration, le Second Empire, la Troisième République et la Libération. On y revisite des procès célèbres : ceux de Béranger, Courier, Flaubert, Baudelaire, ceux des naturalistes et, à partir d’archives inédites, ceux des intellectuels collaborationnistes.

L’épilogue examine la redéfinition de ces enjeux des années 1950 à nos jours : les formes de censure se font plus discrètes, la parole de l’écrivain a perdu de son poids dans l’espace public, mais l’actualité montre que la littérature peut et sait encore être scandaleuse.

http://www.vox-poetica.org/entretiens/intSapiro.html 

CINÉMA

Autour de la discussion entre Christophe Cognet et Yannick Haenel 

Sylvie Lindeperg, La voie des images, quatre histoires de tournage au printemps-été 1944, Verdier, janvier 2013, 288 p., 20 €

Cela se passe dans le maquis du Vercors, dans Paris insurgé, dans les camps de transit vers l’extermination de Terezín en Tchécoslovaquie et de Westerbork aux Pays-Bas. À chaque fois, une caméra. À chaque fois, au cœur de ces situations dramatiques, des hommes qui filment, des hommes (et des femmes) filmés, des hommes qui attendent quelque chose de ces images. À chaque fois des effets de ces mêmes images qui dépassent ou détournent l’attente et la commande.

Le moment singulier de la prise de vue permet d’entrevoir l’univers mental de ceux qui filmèrent, d’interroger leurs gestes et leurs choix. Ces plans recueillent aussi la part de l’histoire inintelligible pour les contemporains.

Les plans analysés ouvrent ainsi la voie, jusque dans leur fragilité et leurs manques, à une histoire du sensible inscrite au plus près des corps de ceux qui firent l’événement ou qui en furent victimes. Ils interrogent la place de l’art au cœur de la barbarie et la capacité du cinéma à devenir un instrument de libération ou de résistance.

La Voie des images inscrit cette recherche dans une réflexion plus vaste. Le livre questionne l’usage contemporain des images d’archives, dont témoignent des productions récentes très médiatisées comme Apocalypse. Il se conclut sur une mise en perspective grâce à un dialogue avec le cinéaste Jean-Louis Comolli.

https://editions-verdier.fr/2015/08/21/liberation-21-aout-2015-par-d-c/

 

Christophe Cognet, Éclats, prises de vue clandestines des camps nazis, Le Seuil, septembre 2019, 432 p., 25 €

À partir d’un corpus pour partie inédit, Christophe Cognet enquête sur les photographies clandestines prises dans les camps nazis, comme autant d’actes inouïs de résistance.

Depuis plus de quinze ans, l’auteur mène une méditation, filmique, sur les images réalisées par les déportés eux-mêmes, en secret, et au risque de leur vie, dans les camps nazis. Après Parce que j’étais peintre, sorti en salles en 2014 et consacré aux dessins et aquarelles des camps, il travaille désormais à un autre film, À pas aveugles, à la rencontre de telles photographies : à Auschwitz-Birkenau et à Buchenwald, Dachau, Mittelbau-Dora et Ravensbrück, des détenus ont réussi à prendre des clichés clandestins.

Le livre Éclats– au sens d’esquilles, de brisures – est issu autant de ce projet de film que de cette longue fréquentation des images clandestines : il compose l’aventure d’un regard en proposant des analyses sensibles de ces photographies, toutes scrutées longuement, puis remises dans leur contexte. Il s’agit de reprendre l’enquête – et parfois de l’initier – avec le savoir disponible aujourd’hui, sans théoriser, mais sans ignorer toute théorie, sans préjuger de ce que ces images ont à nous montrer et à nous dire. Il s’agit tout autant d’une exploration historique et d’une réflexion sur les possibles de la photographie que de faire l’éloge de leurs auteurs, de les remettre au centre et à l’origine de leurs images. Ce livre veut ainsi composer le récit très précis de leurs actes et des scènes prises, mais aussi former les portraits, lorsque c’est possible, tant des femmes et des hommes photographes que de ceux représentés.

Christophe Cognet est réalisateur et scénariste.

https://www.lemonde.fr/livres/article/2019/10/10/eclats-prises-de-vue-clandestines-des-camps-nazis-de-christophe-cognet-regarder-l-horreur-nazie-en-face_6014923_3260.html

 

Catherine Coquio, La littérature en suspens, Écritures de la Shoah, le témoignage et les œuvres,L’Arachnéen, avril 2015, 512 p., 32 €

Ce livre est consacré aux textes de ceux qui ont entrepris de témoigner des camps nazis et de la Shoah en faisant œuvre. Il réfléchit le statut incertain et le caractère tourmenté de ces œuvres qui témoignent d’une forme de « désappartenance » humaine, et cherche en elles les effets de cette scission : quelle tension produit le fait de témoigner d’une rupture anthropologique à l’intérieur du système de valeurs qu’est la «littérature» ? Ce qui a lieu alors n’est pas un adieu à la littérature, ni sa complète disqualification, mais sa criseet sa critique, implicite ou explicite, à la manière d’une mise en « suspens».
«Quand on écrit sur Auschwitz, il faut savoir que, du moins dans un certain sens, Auschwitz a mis la littérature en suspens », disait Imre Kertész en 2002 (L’Holocauste comme culture). On tente ici de comprendre ce «certain sens» et la manière dont il se démultiplie selon les histoires et les aires où ces œuvres ont été produites.
La Littérature en suspens distingue les «Théories et paradigmes» (I) et les «Œuvres» (II), en prenant un double parti : celui d’abord d’historiciser les discours critiques et paradigmes qui se sont développés à ce sujet, en différenciant ce qui s’est joué en Occident et en Europe orientale (URSS et Pologne), selon les expériences historiques, les expériences politiques et leurs horizons culturels d’inscription ; celui ensuite de s’immerger dans certaines œuvresoù l’art se voit à la fois requis et rejeté, ou mobilisé et questionné : celles en particulier de trois déportés politiques (David Rousset, Charlotte Delbo, Jean Cayrol), puis d’écrivains juifs rescapés de l’extermination (Etty Hillesum, Piotr Rawicz, Jean Améry, Imre Kertész, Georges-Arthur Goldschmidt, Aharon Appelfeld). La question des rapports entre «témoignage» et «littérature» est ainsi reposée en considérant un corpus plus vaste et différencié que le canon d’où émergent les théories du pseudo «genre testimonial» jusqu’ici mobilisées ; au parti pris d’une philologie critique se joint une approche de type anthropologique attachée à préciser le rapport entre l’acte de témoigner et le jeu de la création, et à comprendre la place du serment et du rituel dans ces écritures sécularisées.
Ce livre montre que l’intégration du témoignage dans la «littérature» s’est faite sur un mode suspensif, schismatique et souvent ironique, dans tous les cas dans une forme de distancedont la signification réclame d’être davantage réfléchie, à l’heure où le supposé «passage de témoins» fait parler d’une «littérature de la troisième génération». Le legs précieux de cette littérature pensantene doit pas se dissoudre dans notre culture de la mémoire. La conjugaison de l’acte de témoignage et du jeu de l’œuvre créatrice produit une ritualité spécifique, étrangère à toute sacralisation du témoignage en tant que tel. Le livre tente de comprendre le rapport spécifique au sacré qu’élabore cette littérature de la désappartenance, profane et iconoclaste, en se penchant sur les relations complexes inventées pas chaque auteur au monde de la littérature, et, à travers elle, sur les liens entre la terreur mythique associée au passé et l’intensité nécessaire d’une vie à venir.

https://www.lemonde.fr/livres/article/2015/05/28/catherine-coquio-mal-de-memoire_4642321_3260.html

BANDE DESSINÉE

Salva Rubio, Pedro J. Colombo, Le Photographe de Mauthausen, Le Lombard, 168 p., 19.99 €

Comme beaucoup de ses camarades déportés dans le camp de Mauthausen, Francisco Boix ne pensait qu’à survivre à ce cauchemar éveillé. Mais lorsqu’il croise le chemin du commandant Ricken, esthète nazi des plus pervers, qui prend plaisir à photographier l’horreur, le jeune homme comprend qu’il tient là un témoignage unique. A condition de parvenir à faire sortir les photos du camp…

L’histoire vraie d’un témoin à charge du procès de Nuremberg, et de son combat pour la vérité et le souvenir.

http://bdzoom.com/120345/lart-de/%C2%AB-le-photographe-de-mauthausen-%C2%BB-par-pedro-colombo-et-salva-rubio/

  

THÉÂTRE

Elfriede Jelinek, Restoroute Animaux, traduit de l’allemand (Autriche) par Patrick Démerin et Dieter Hornig, Verdier, avril 2012, 16.50 €

 Créée en 1994 à Vienne, Restoroute est la huitième pièce d’Elfriede Jelinek qui la définit comme sa « première véritable comédie ». Le sous-titre, L’École des amants, indique la filiation de cette œuvre avec le Così fan tutte de Mozart et Da Ponte, dont elle est la réécriture burlesque et grinçante. Pour l’écrivain qui se définit comme « une incurable moraliste », l’échangisme apparaît comme l’illustration de « la terreur de la liberté » : une sexualité sans frein où le désir féminin qui se donne prétendument libre cours n’aboutit qu’à une ritualisation grotesque de la performance sexuelle et se mue en une servitude terrifiante.
Animaux, pièce créée à Vienne en 2007, se compose de deux monologues. Dans le premier, une femme bourgeoise mélancolique exprime sa soumission à son amant et aspire à ce que celui-ci use d’elle selon son bon plaisir. Dans la deuxième partie qui, selon les termes de l’auteur, « efface et ridiculise la première », ce désir se trouve pris au pied de la lettre : la prostitution érige l’homme en seigneur et maître, pour qui les femmes ne sont que du bétail.
Dans ces deux pièces violemment satiriques, le jeu théâtral repose sur la puissance subversive du langage qui passe au premier plan et met en évidence la monstruosité du monde contemporain.

https://editions-verdier.fr/2013/12/18/papa-est-en-voyage-dhiver/

POÉSIE

Charles Pennequin, Bine, Le Corridor Bleu, janvier 2013, 60 p., 8 €

 Charles Pennequin est un poète particulièrement reconnu pour la force émouvante de ses lectures publiques. Bine rassemble des poèmes courts et rythmés où l’on retrouve l’ensemble de son univers.

http://www.lelitteraire.com/?p=342

 

 

 

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