Banquet d’été 2015

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Le Banquet du livre d'été 2015

Ce qui nous est étranger

Du vendredi 7 août au vendredi 14 août ​

1995-2015 : 20 ans de Banquets

Le thème du Banquet 2015 est apparu « en creux » dans maintes interventions du Banquet de l’été 2014 qui portait sur : « Qui est nous aujourd’hui ? ». Avaient de fait émergé les motifs suivants : l’extériorité, les autres, l’autre, l’étranger, l’étrangeté…

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Ainsi pour 2015, nous nous sommes interrogés sur « ce qui nous est étranger ». Ce thème est volontairement très large : l’étranger, cela renvoie aux étrangers, à l’étrange, à l’inconnu, à l’altérité.

Par ailleurs, dès le début 2015, deux faits majeurs – tragiques – sont intervenus qui ont apporté une note sombre (c’est le moins qu’on puisse dire…) à ce questionnement :
– d’une part, les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hypercasher, marquant une nouvelle étape dans le développement de l’islamisme politique,
– d’autre part, les réfugiés noyés au large de la Méditerranée, venant témoigner de la fermeture de l’esprit européen.
Il est apparu ainsi que nous ne pouvions poursuivre notre réflexion de l’été sans prendre en compte ces deux faits.

Ce qui nous est étranger se donne de prime abord dans la figure de l’étranger, de l’autrui catégorisé comme l’étranger.
Dans le même temps, toute cité, comme tout individu a besoin de l’autre, de l’étranger, pour définir ce qu’il est.
« Pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que je passe par l’autre. L’autre est indispensable à mon existence, aussi bien d’ailleurs qu’à la connaissance que j’ai de moi. » (Jean-Paul Sartre, L’Existentialisme est un humanisme, pp.66-67, Nagel).

Précisons.

Depuis au moins Platon et les Grecs anciens, nous entretenons un rapport ambigu, ambivalent à l’étranger : à la fois peur et fascination, rejet, xénophobie et accueil, hospitalité. Benveniste évoque la proximité entre hospes (hôte) et hostis (qui aura finalement donné ennemi, hostile).

La xénophobie est la peur – non pas la haine – de l’étranger. Le rejet de l’étranger tient, selon les situations, à ce qu’il représente le non-être, ce qui n’est pas moi, pas nous, ou bien la menace, la possible destruction. Or, il est nécessaire de dépasser ce sentiment pour apprivoiser l’inconnu, l’extériorité, « prendre d’assaut la frontière » (en pastichant Kafka).

Inversement, l’étranger porte des sentiments ambivalents vis-à-vis de ceux qui l’accueillent. Marguerite Yourcenar attribue ce mot à son père : « On s’en fout, on n’est pas d’ici, on s’en va demain. », qui exprime la légèreté et la fragilité de l’étranger.

Et de fait, la question de l’étranger – de l’immigré, du sans-papier – est aujourd’hui centrale en Europe : elle soulève des problèmes socio-démographiques, économiques, politiques, anthropologiques (ou culturels), mais aussi métaphysiques, éthiques et psychiques (à un plan individuel). Plus que jamais l’immigré, le « sans-papier » ou encore le SDF suscitent à la fois compassion et crainte. Les délinquants, les malades du SIDA, les « fous », les esclaves sont perçus comme n’appartenant pas à « notre monde », au « nous », et sont trop souvent renvoyés au statut de « l’étranger ».
La représentation de l’étranger se trouve être le « négatif photo » ou, si l’on préfère, le « miroir inversé » de l’identité incertaine du soi, du nous – interrogation devenue obsédante chez les individus, comme chez les collectifs.

Mais ce qui nous est étranger, c’est aussi ce qui nous reste légitimement inassimilable, inconcevable, dans sa face hideuse et menaçante et ce que l’on ne peut accepter. Ainsi, les camps. Ou encore l’islamisme politique.

Les Grecs anciens avaient posé les bases d’une dialectique du « citoyen » et du « barbare », de l’autochtone et de l’étranger, du Même et de l’Autre – ainsi chez Platon, autre s’oppose à même. Cette dialectique perdure largement jusqu’à aujourd’hui.
En fait, (Cf. Henri Joly, Études platoniciennes, la question des étrangers (Vrin, 1992, 128 p.) la représentation que les Grecs anciens se faisaient de l’Étranger, qu’il soit hellénophone ou barbarophone, est complexe. L’ethnocentrisme grec impose à l’Autre la marque d’un discrédit, mais présente aussi les signes d’une tolérance voire d’un questionnement.
La question des Étrangers (xenoï) est partout présente dans la philosophie platonicienne qui est pourtant réputée être une philosophie de l’Identité, mais se révèle à la lecture précise des textes être aussi une philosophie de l’altérité.

Le 19e siècle européen a institué de nouvelles formes du collectif, issues des Lumières (par exemple, les notions de patrie, de nation – entités délimitées par des frontières), et basées sur le contrat, le pacte, passé par des sujets individuels supposés autonomes et libres. L’on peut se demander si, aujourd’hui, ces formes sociales, politiques, ne sont pas devenues obsolètes.

Par ailleurs, depuis les temps modernes, tout à son moi autocentré, l’individu européen, poursuivant l’impératif de l’autonomie, est devenu aveugle à la part autre, étrangère de lui-même, d’où sa méfiance de l’étranger. Un travail d’apprivoisement est indispensable. Cet individu n’a plus voulu prendre en charge pour lui-même ces expériences de conscience, manifestées aussi bien chez les anciens Grecs (ainsi, le Daïmon de Socrate, les rites dionysiaques) que dans nombre de cultures dites traditionnelles (l’extase, la transe, la possession, etc.).
Toutefois, à partir de la fin du 19e siècle, l’Europe opère peu à peu un retour critique sur ce qu’il en est de l’identité individuelle (mais aussi collective) : « je est un autre », écrit Rimbaud. Nietzsche entreprend de déconstruire l’ego rationnel de Descartes. Puis vient Freud et l’ethnologie.
La question de l’étranger devient pleinement la question de l’altérité – notamment celle du rapport à autrui, mais plus profondément à ce qui est autre, tout autre. Elle est notamment découplée de l’opposition intérieur / extérieur.

Enfin, un autre questionnement se pose aujourd’hui : ce qui nous est étranger en tant qu’êtres parlants, c’est également la « nature sauvage ». Dans notre culture humaniste moderne, la nature, synonyme de non-humain ou plutôt de l’humain non humanisé, a toujours été représentée comme opposée à la culture, et donc comme ce qui restait à conquérir, à domestiquer. La nature, l’animal, sont apparus à l’homme comme étrangers à lui-même, comme une extériorité à la fois fascinante et hostile. Mais n’est-on pas entrés dans un post-humanisme où la relation de l’homme à la nature se trouve profondément réinterrogée ?

La discrimination entre le même et ce qui lui est étranger est également cruciale pour la construction du savoir. La division Même/Autre est en effet au principe de toute connaissance : connaître, c’est distinguer les unes des autres les choses sensibles, les idées, etc., afin de pouvoir classer, ordonner, établir des relations qui organisent le chaos premier du monde sensible, dominant par le divers, le multiple et le changeant.

Pour finir, est-il nécessaire de rappeler que la littérature – par nature ou plutôt par vocation – se constitue comme rapport à ce qui nous est étranger ? Dans l’acte d’écriture, l’écrivain est confronté à l’obscur, à l’inconnu. Le texte qu’il construit échappe pour une large part à toute intentionnalité de sa part. De même, la lecture des œuvres de création littéraire conduit le lecteur vers des espaces inédits – le place donc face à de l’inconnu, de l’étranger, voire de l’étrange. C’est au fond cela seulement qui explique l’apparente difficulté d’un grand texte. Surmonter la difficulté première pour découvrir sa clarté lumineuse consiste pour le lecteur à se rendre pleinement disponible pour accueillir l’étranger qui lui fait signe.

Chapiteau

Rencontre sous le grand chapiteau

Au programme :

Partant de ce questionnement, le Banquet d’août 2015 a offert de multiples espaces et moments de réflexion et d’échange :

  • Séminaire inaugural de philosophie, avec Gilles Hanus : « De l’étrangeté – à partir de Lévinas ». Jeudi 6 et vendredi 7 août 2015.
  • Une librairie générale, implantée dans la grande salle de l’abbaye, présentera les livres disponibles en rapport avec les auteurs invités et les thèmes abordés ; elle offrira une sélection d’ouvrages en littérature contemporaine et en philosophie. De même, la librairie permanente présentera une offre généraliste (littérature, sciences humaines, jeunesse, beaux livres, etc.).
    Ouverture de 10h. à 20h, du samedi 8 août au vendredi 14 août inclus.
  • Un bistrot littéraire, toujours à l’abbaye, et donnant sur une vaste terrasse ombragée, proposera collations et rafraîchissements, offrira aux participants un espace de convivialité et de méditation. De plus, une restauration en terrasse sera organisée, midi et soir, avec le jeune chef lagrassien, Thibault Olivier. Ouverture de 10 h. à minuit, du samedi 8 août au vendredi 14 août inclus.
  • Les rencontres de l’abbaye :
    Chaque après-midi deux rencontres se sont déroulées à l’abbaye, chacune avec l’un des invités. Ces rencontres pourront revêtir deux formes : entretien ou « conférence ». Du samedi 8 août au vendredi 14 août inclus, à 16 h et à 18 h. Participation aux frais de 3 € par jour ; sans réservation ; gratuité sur présentation de la carte d’adhérent 2015.
  • Des lectures de textes avec des écrivains :
    Chaque soirée, se tiendra une lecture de textes littéraires, par un comédien de renom ou un écrivain invité. À 21 h 30. Entrée libre.
  • Un séminaire Cinéma : Avec Jean-Louis Comolli. Au fil des sept séances, seront convoqués les films suivants, dont seront projetés des extraits : Sortie d’usine 3 (Lumière, 1895), Kind Auto Races at Venice (Charlot, 1914), Nanook of the North (Flaherty, 1924), Le Pont (Joris Ivens, 1927), L’homme à la caméra (Vertov, 1929), First Contact (Leahy, 1930), L’Homme d’Aran (Flaherty, 1934), Let there be Light (Huston, 1946), Le sang des bêtes (Franju, 1946), Memory of the Camps (coll. 1946), Moi, un Noir (Rouch, 1959), Chronique d’un été (Morin et Rouch, 1960), L’Amour existe (Pialat, 1960), Les Carabiniers (Godard, 1963), L’enfant aveugle (J. Van der Keuken, 1964), La Ricotta / Che cosa sono le nuvole (Pasolini, 1963/1968), Toby Dammit (Fellini, 1968), Disneyland, mon vieux pays natal (Des Pallières, 2000). Séances à 10 h 30, tous les jours, du samedi 8 août au vendredi 14 août. Entrée libre.
  • Un atelier « Littérature et civilisation grecque », animé par Dominique Larroque-Laborde, professeur de lettres classiques. Du dimanche 9 août au vendredi 14 août, de 10 h à 11 h.  À l’école du village. Entrée libre.
  • Atelier de philosophie, animé par Françoise Valon, professeur de philosophie, qui proposera une réflexion sur le rapport à l’étranger chez Platon, à partir de commentaires de différents livres de Platon : le Sophiste et le Politique, les Lois, où revient un « autre » étranger, le Criton, le Phédon, l’Apologie de Socrate et le Phèdre, sur l’étrangeté de Socrate, et pour finir le Banquet, à cause de l’étrangère. Ces livres seront abordés dans les traductions de Luc Brisson, paru GF Garnier Flammarion. À 11 h 15. Entrée libre.
  • Le séminaire de Jean-Claude Milner : Mardi 11 août, de 14 h à 16 h. 2 heures de réflexion et d’échanges à partir du livre La Puissance du détail (Grasset, 2015). Plus précisément, le séminaire portera sur les parties suivantes du livre : l’Introduction, Marx, Lévi/Lévy, Lénine. Gratuit, inscription préalable obligatoire. La participation au séminaire nécessite d’avoir lu le livre
  • Le séminaire de Christian Jambet : deux après-midi (14 h – 16 h) pour, à chaque fois, 2 heures de réflexion et d’échanges à partir de son texte : « Heureux les étrangers ! : variations sur une tradition islamique ». Gratuit, inscription préalable obligatoire
  • Conversation sur l’Histoire :  Patrick Boucheron apportera différents éclairages historiques en rapport avec le question du Banquet. Cinq séances du lundi 10 août au vendredi 14 août, de 12 h 30 à 13 h, dans le « petit cloître de l’abbaye »Entrée libre.
  • Les acteurs du livre : la librairie :
    Vivre avec les livres, documentaire de Henri Barré (50’) sur la vie de la librairie Ombres Blanches. Projection du film suivie d’une conversation avec Christian Thorel. Samedi 8 août à 14 h 15.
    Composer la librairie éphémère du Banquet sur le thème « Ce qui nous est étranger » : promenade guidée de la librairie et débat. Dimanche 9 août à 14 h 15. Entrée libre.
  • Le concert inaugural : le trio de jazz Anticyclone, avec Charlène Moura (saxophone alto, fifre, voix), Marek Kastelnik (piano) et Frédéric Cavallin (batterie, percussions). Vendredi 7 août à 21 h 30. Entrée libre et gratuite.
  • Découverte de la nature : Partez sur les sentiers pour une promenade insolite dans la garrigue, avec Catie Lépagnole, ethnobotaniste. Dimanche 9, le mardi 11, le jeudi 13 et vendredi 14 août, de 9 h à 10 h 30. Départ à 9 h de l’abbaye publique. Aucune inscription préalable. Gratuit.
  • Ateliers Théâtre pour enfants de 6 à 12 ans, du lundi 10 août au vendredi 15 août, de 15 h à 17 h. Tarif : 10 € la séance. Accueil chaque jour à partir de 14 h dans la cour de l’école. Exercices théâtraux conçus et animés par Laurence Teysseyré, comédienne à la Compagnie de la lune : énergie, voix, respiration, diction, expression corporelle, relaxation et improvisation. Extraits de textes de Beckett, Dubillard, Friot ou Darley. www.lacompagniedelalune.info – Tél. : 04 68 78 70 93 – Mèl : lacompagniedelalune@gmail.com. Il est préférable de s’inscrire à l’avance.
  • Dégustation de vin : le dimanche 9 août (14 h – 20 h) : des vignerons, membres du groupement «  Changer l’Aude en vin » proposeront une découverte de vins issus de différentes terroirs AOC de l’Aude (Corbières, Minervois, Fitou, Maleperre, Cabardès, la Clape). Gratuit.

Les auteurs invités

Souâd Ayada, philosophe, spécialiste de l’islam (L’Islam des théophanies : Une religion à l’épreuve de l’art) ; Patrick Boucheron, historien et Mathieu Riboulet, écrivain (Prendre dates, 6 janvier – 14 janvier 2015) ; Jean-Louis Comolli, réalisateur, théoricien de l’image (Cinéma, mode d’emploi. De l’argentique au numérique) ; Patrick Deville, écrivain (Viva) ; Gilles Hanus, philosophe (Penser à deux ? Sartre et Benny Lévy face à face) ; Yannick Haenel, écrivain (Je cherche l’Italie) ; Christian Jambet, philosophe, spécialiste de l’islam (Qu’est-ce que la philosophie islamique ?) : Luba Jurgenson, écrivain, traductrice de littérature russe (Au lieu du péril) ; René Lévy, philosohe, talmudiste (Disgrâce du signe : Essai sur Paul de Tarse) ; Julien Loiseau, historien (Les Mamelouks XIIIe-XVIe siècle : Une expérience du pouvoir dans l’islam médiéval) ; Gabriel Martinez-Gros, historien (Brèves histoires des empires, Comment ils surgissent, comment ils s’effondrent) ; Colette Mazabrard, écrivain (Monologues de la boue) ; Jean-Claude Milner, philosophe, linguiste (La Puissance du détail) ; Gaëlle Obiégly, écrivain (Mon prochain) ; Tobie Nathan, ethnopsychiatre (L’Étranger ou le pari de l’autre) ; Éric Pessan, romancier (Le Démon avance toujours en ligne droite) ; Mathieu Riboulet, romancier, Prendre dates, Paris, 6 janvier-14 janvier 2015 (Verdier, 2015) ; Olivier Rolin (Le Météorologue) ; Lydie Salvayre, romancière (Pas pleurer) ; Alain Tarrius, sociologue (Étrangers de passage : la mondialisation entre pauvres) ; Mélanie Traversier, historienne et comédienne (Lettres d’Henriette à Jean-Jacques).

Enregistrements audios

Les images du Banquet du Livre d’été 2015, par Ghila Krajzman

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Le public attentif sous le grand chapiteau

Rencontre avec Patrick DevillePhoto-ghila-2-deville

Rencontre avec Patrick Deville

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Serge Renko lit Colette Mazabrard

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Le public sous le chapiteau

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Luba Jurgenson

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Julien Loiseau

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Patrick Boucheron et Julien Loiseau

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Les premières conversations sur l’Histoire avec Patrick Boucheron

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La rencontre avec Éric Pessan

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La conférence de Jean-Claude Milner, sous le grand chapiteau

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Le public attentif, à la conférence de Jean-Claude Milner

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Conversation sur l’Histoire, de Patrick Boucheron

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Mathieu Riboulet et Lydie Salvayre, à l’heure du déjeuner

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Jean-Claude Milner et Olivier Rolin

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La conférence de René Lévy

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La soirée avec Lydie Salvayre

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Tobie Nathan

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Jean-Louis Comolli aux côtés de Michèle Planel

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Serge Renko lit Pas pleurer de Lydie Salvayre

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Le public ami du Banquet

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Yannick Haenel

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Souâd Ayada

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Le public sous le grand chapiteau

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La bonne humeur sous la tente des repas, malgré la pluie diluvienne 

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